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JOURNAUX ET APHORISMES

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  LES COINCIDENCES . – Enfermer tout l’univers sous un sola scriptura consiste à imaginer, qu’en dehors des Ecritures, Dieu n’a plus rien à faire et plus rien à dire. Qu’en dehors des Ecritures il n’y a plus de prophètes, qu’il n’y a plus d’apôtres, qu’il n’y a plus de disciples, qu’il n’y a plus d’anges, qu’il n’y a plus de démons, qu’il n’y a plus de possessions, qu’il n’y a plus d’extases, bref le grand malheur est de concevoir les Ecritures comme un verrou sous lequel la totalité des siècles est donnée dans un développement. Des Ecritures qui enferment le ciel et la terre. Du coup en ce qui nous concerne on ne sait pas sous quel verset ranger nos guerres, nos pestes, tel séisme, tel roi, tel décret, ce pays, ce nouveau continent, ou bien encore cet autre miracle. Alors on force une participation qui le plus souvent est une intrusion selon nos craintes, nos caprices, nos habitudes, ou pour suivre tel docteur, pasteur ou théologien, ou tout simplement pour se faire ou faire plaisir. A la manière de la méthode scientifique on traitera le corps étranger, sa généalogie et son devenir, sous un modèle qui le recevra et selon la construction qui gagnera l’opinion du plus grand nombre, car en général les théologiens se passeront d’un monde de coïncidences pour lui préférer celui des successions. Et ainsi fera le savant dans son exégèse des Ecritures, par de brillantes déductions qui n’échapperont pas au principe de contradiction, succession obligée de causes et d’effets, il interprétera tel événement à la lumière de tel passage scripturaire, pour concevoir une synthèse qui ne donnera qu’un monde possible, voire du probable, mais jamais du vivant : il subordonnera telle prophétie à tel oracle biblique ; tel miracle à ceux du Christ, de Paul ou de Pierre ; ailleurs il introduira son siècle ou d’autres temps sous le régime des mille ans, sans oublier le plus docte d’entre tous qui forcera des séries de millions d’années à s’épanouir sous les sept jours de la création, sans y voir là une intrusion spectaculaire d’une violence intellectuelle inouïe.
  Par contre là où il y a coïncidence des mondes il n’y a pas de place pour les conséquences. Il s’agit pour le chrétien de trouver que de la Genèse à la Révélation les Ecritures ne font pas autrement que de nous présenter des coïncidences au détour des histoires. Sept esprits de Dieu regardant les sept jours de la création, sept jours qui coïncident plus qu’ils ne succèdent l’un après l’autre, sept jours comme sept yeux, sept bouches, sept souffles, sept Verbes de Dieu, et il y eut un soir et un matin, puis sept trompettes, sept sceaux, sept coupes, pour tout défaire sur le rythme de la prise de Jéricho ; et y a encore le pouvoir de Satan : Babylone, Rome, le monde, des siècles de prostitution, des rois qui frappent ici et là ; bêtes composites, des bruits de guerre, Jérusalem encerclée par les armées, pour en venir aux figures qui annoncent le Christ : l’Ange de l’Eternel, les animaux et les chérubins bigarrés, du charbon, des braises, des sacrifices ; bois, buisson, arbre et croix ; chemin à travers les eaux, à travers le feu, dans le désert, dans le ciel. Jusque dans le récit de la chute où le bien et le mal coïncident tout à fait, les deux se trouvant sous un même fruit défendu. La Révélation de Jean est à lui tout seul un livre de coïncidences, pourtant l’exégète préfèrera subsumer un événement sous une prédiction, la prédiction devenant comme sa chair l’évènement sera transformé en possibilité, méthode qui ne poursuivra ses efforts qu’en rejetant les oracles plus loin de nous, à une distance que nous ne pourrons jamais saisir, et qu’aucun homme ne saisira ; et c’est ici la vertu du probable et du possible que de ne pouvoir être saisie que par la pensée, et jamais par la vie qui porte les coïncidences que nous voyons de partout autour de nous. Car qui pourrait saisir une pensée qu’aucune vie ne contient, le concept trouvant ainsi toujours un temps d’avance, une pensée qui se retrouve sans une vraie chair, que rien ne borne, et qui pourrait saisir un fantôme ou un démon sans corps ? Mais cette méthode trouve un résultat des plus conséquents car il sera toujours problématique et discutable de forcer l’intrusion d’un événement sous un livre qui a tout dit et où tout est écrit, et qui a tout prédit. On ne veut pas voir que la prédiction regarde la coïncidence de plusieurs évènements dont les possibilités sont impossibles puisqu’ils nous sont présentés par la vie qui nous entoure. Il y a Babylone, il y a Rome, et d’autres cités viendront à leur tour ; s’il y a sept sceaux et sept trompettes sous le dernier sceau pour défaire le monde, c’est parce qu’il y a eu Jéricho rejeton de Babylone et de Babel qui annonce d’autres mégapoles ; s’il y a Loth qui fuit la ville maudite avec sa famille c’est parce qu’il y eut Noé, le déluge, et l’arche pour le sauver avec sa famille aussi, et qu’il en sera de même pour d’autres lieux, et pour ce monde qui est réservé pour le feu mais d’où les derniers saints échapperont à leur tour.
  La prédiction sous forme directe ou indirecte regarde la juxtaposition de plusieurs évènements dont l’évènement paradigmatique peut se retrouver au commencement des temps comme en leur milieu ou à la fin, ou encore à plusieurs endroits de l’histoire, la prédiction interdit de comprendre le sens du temps comme une histoire qui se déroule page après page en allant du début à la fin. Conjecturer ou prédire un évènement à partir d’un évènement n’est pas impossible, car pour ainsi dire la pensée économise une chair, et là où il y a coïncidence des signes il y a correspondance des sens, mais le faire à partir d’une prédiction tout intangible, de la cause vers l’effet, d’une loi qui habille et enveloppe l’obéissance, voilà qu’il nous échappe dès qu’on pense l’avoir saisi, dans le premier cas l’évènement produit son image, dans le deuxième nous trouvons un logos qui habille une chair, une abstraction. Alors il s’agit de saisir que chaque vers et chaque rythme d’une révélation trouve ses coïncidences, des coïncidences qui peuvent se retrouver dans des évènements de prédictions mais aussi dans ceux de divers témoignages : d’autres écrits, d’autres dires, d’autres prophètes, d’autres apôtres, d’autres fidèles, d’autres extases, d’autres possessions, d’autres anges, d’autres démons, d’autres nations, d’autres rois, d’autres guerres, d’autres pestes, et d’autres miracles, et tout cela sous le regard d’un seul Seigneur et d’un Seul Dieu.
  Le jeu des coïncidences forment des répétitions vivantes à travers les siècles, des répétitions d’ordre métaphysiques qui, même lorsqu’elles lui sont opposées, ne peuvent échapper au Dieu des esprits qui veut le salut de tous les hommes. Dieu sait très bien que ce qu’un vaurien a fait il le fera à nouveau et de nouveau, et que c’est ici la seule méthode qui lui permette de perdurer dans la création parmi les créatures, d’où tous les oracles de Dieu sous formes de prophéties qui veulent prévenir et armer les chrétiens contre celui qui les accuse jour et nuit devant son trône ; l’accusateur, qui, à son tour, sera tourmenté jour et nuit, mais aux siècles des siècles. Il ne faut pas ignorer les desseins d’un ange de lumière qui se cache sous le jeu de ses propres coïncidences, et dont l’ambition, qui est commune à toute méchanceté qui poursuit sa propre gloire, est de s’éterniser à travers les siècles et de voir rejeter son jugement à plus tard. Le bien peut être une de ses armes favorites car en mettant fin à un mal il saura se prolonger en le faisant renaître ailleurs, ou le remettre à un autre lieu pour un autre temps, jusqu’à détruire son œuvre à nouveau. S’il court à sa perte il détruira sa propre œuvre pour en édifier une nouvelle sur le cadavre de l’ancienne, ainsi de la prostituée anéantie par les dix rois de la Révélation. On pourrait ici décrire une manœuvre courante qui fut de nous abuser en congédiant un mal par un bien, mal que nous retrouvons à chaque fois et qui dès lors nous surprend tout confus, ce mal un temps plus loin trouve un ricocher par le moyen du bien qui le fait renaître, et cela afin que l’homme perde courage devant un Dieu qu’il s’imagine être l’auteur de tout bien, alors que le bien et le mal sont compris dans le même fruit. Des procédés qui dépendent du dessein d’un règne parmi les hommes, et c’est pourquoi aujourd’hui encore l’ange en question dispute ce monde perdu au Seigneur des seigneurs afin de ne plus trouver l’obstacle d’un jugement. C’est alors que nous voyons des hommes qui veulent en finir avec la coïncidence des deux témoignages, celui du Juif qui cache aussi celui du chrétien, afin de rendre vaine toute œuvre en vue du salut et d’accorder le règne aux ennemis de la croix. L’œuvre de la croix ne peut se répéter et ne trouve donc point de coïncidence, même dans un monde où il n’y eut plus de témoins, car s’il en était autrement Jésus-Christ ange ou démon serait tout à fait autre chose qu’un seul homme. Aussi s’agit-il de revenir sur ces dernières lignes et d’entendre qu’il est malséant d’être à la remorque de l’éthique, c’est-à-dire du bien et du mal , et qu’il appartienne à n’importe qui, car la personne dont tu obtiendras un bien deviendra du même coup la maîtresse d’un mal, la victime des maux étant la même que celle des biens, ce bien qui est une dette que seul un mal peut remettre et réparer, ce que la coutume vérifie de préférence par le contraire, le bien étant son favori, mais ainsi passe-t-on du plaisir à l’insulte parmi ceux qu’on aime.



  LE DIEU AMOUR . – Après l’avoir remarquablement éteint voici que le feu prométhéen nous éclaire de nouveau, et en effet Chestov se fourvoie en logique dans son par-delà le bien et le mal en allant, pour être tout à fait conséquent, jusqu’à justifier une prédestination selon le bon vouloir de Dieu. Dieu est Amour, et Il veut être aimé, ou bien je le dis l’homme n’est pas une image du Dieu vivant. Ici, dans l’Amour, il suffit, comme Chestov l’écrit justement, de remarquer que les lois et les vérités éternelles ne trouvent ni n’aiment Dieu et que celui qui aime Dieu c’est celui qui se retrouve devant Lui, sola fide d’une existence, comme un seul homme face à Lui seul. Il y va d’un renoncement, d’un saut dans l’abîme. Or, tous peuvent sauter, et pour répondre à Chestov je dirai que c’est ici la grâce que tous peuvent mourir pour vivre, et ici il n’y a pas de salut par les œuvres, car le salut n’entre pas dans la conscience de celui qui saute dans le gouffre. Curieusement Chestov ne voit pas que cette prédestination s’accorde trop bien aux attributs théologiques des raisons éternelles d’un Dieu omnipotent, omniprésent, omniscient ; mais un Dieu qui se décide pour l’ignorance, de vivre ici et maintenant, et par la foi, un Dieu dans le gouffre, un Dieu abandonné, un Dieu Amour serait-il moins Dieu pour autant, et n’est-ce pas là que nous trouvons tout le sens du christianisme et de l’amour chrétien ? Se jeter à se perdre pour se retrouver dans un face à face. Mais voilà qui est plus chestovien que ce qu’écrivait Chestov lui-même.



  LE QUATRIEME EVANGILE . – On oublie que les auteurs des livres du Nouveau Testament qui écrivaient en grec, ont connu les Ecritures dans ce même grec à travers la version des Septante, une traduction déterminante pour le choix et l’emploi des mots des auteurs des futurs Evangiles et Epîtres. Aussi j’en viens à ce mot qui se trouve dans l’Evangile de Jean et qui est des plus malmenés par nos modernes, j’entends philosophes et théologiens, et même Chestov qui voulait justifier une trahison dans le texte qui aurait servi à l’hellénisme et à nos raisonnements qu’il dénonce et déconstruit avec tant d’efficacité dans ses ouvrages, toutefois ce qui importe ici fut que son intention regardait ce qu’il y avait de plus noble ; mais je veux parler du logos, lo/goj, un mot qui, il faut bien le souligner, court à travers toute les Septante, mais aussi à travers tout l’Evangile de Jean, et qu’il est juste de traduire par le mot parole.
  Evidemment il convient avant tout de mettre Jean 1 : 1 en regard de Genèse 1 : 1, comme Chestov l’a très bien compris. Or, ici il s’agit de remarquer que le Dieu créateur du commencement a tout créé par le moyen de sa parole, le Dieu dit dans la suite des versets, aussi Jean, ou peut-être celui qui écrivait sous sa dictée, avait bien à l’esprit la parole agissante de Dieu lorsqu’il écrivait le mot logos ; cette parole qui amène à exister ce qui n’existe pas, ce qui est d’ailleurs entendu par le troisième verset du Prologue : Tout pa/nta a été fait par elle. On peut se convaincre du sens employé en considérant les versets 4 et 6 du Psaume 33 : La parole de l’Eternel o( lo/goj tou= kuri/ou est droite, et toutes pa/nta ses œuvres s’accomplissent avec fidélité (on peut traduire : s’accomplissent dans la foi e)n pi/stei), et plus loin : Les cieux ont été faits par la parole de l’Eternel tw=| lo/gw| tou= kuri/ou, et toute pa=sa leur armée par le souffle de sa bouche. Le mot logos trouve de nombreuses occurrences dans le Psaume 119, on s’attachera surtout au verset 160 : Le fondement de ta parole est la vérité, a)rxh\ tw=n lo/gwn sou a)lh/qeia, qu’il faut comparer avec : e)n a)rxh=| h]n o( lo/goj, de Jean 1 : 1. On notera aussi que les quelques citations des Ecritures qui se trouvent dans l’Evangile de Jean ont souvent des tournures prisent textuellement dans les Septante. Outre les auteurs ecclésiastiques, même un Philon ne pouvait être étranger au sens du logos trouvé dans les Septante, bien que pour sa part il eût refondu ce sens dans les sagesses helléniques.



  CHESTOV EN TROIS EVIDENCES . – Chestov ne parle pas de ce que Leibniz prend à Luther en raisons éternelles ; le serf arbitre présente une volonté cachée et une volonté révélée, pour justifier une prédestination selon le bon vouloir divin, étrangement similaires à la volonté conséquente et à cette autre antécédente de Leibniz qui servent au meilleur des mondes malgré le mal qu’il contient. Ainsi la liberté chrétienne joue sous le serf arbitre, c’est-à-dire que ce qui est révélé est au pouvoir de ce qui est caché, alors que c’est le contraire qui vaut, est chrétien celui qui cède sa liberté à Dieu, qui se jette lui même dans le gouffre, qui se cache loin des hommes et du monde qui les porte pour accomplir la loi de Dieu et devenir esclave de cette loi.
  Quand on dit que Dieu est omniscient on n’est pas obligé de penser à des facteurs conditionnés, ainsi l’omniscience serait au-dessus de Dieu comme une loi dont il ne pourrait s’échapper, en effet pour sauver l’inconditionné on peut très bien poser que Dieu est l’omniscience même, et pareillement avec l’immuabilité ou d’autres vertus, mais c’était peut-être trop kantien pour Chestov qui met des causes là où il le souhaite pour dénoncer Athènes et les sagesses helléniques, ce que par ailleurs il a raison de faire et qu’il fait très bien.
  Dieu a créé l’homme à son image et le monde qui le porte selon ce même projet ; alors pourquoi, par exemple, les hommes n’ont-ils pas des ailes sur le dos ? Un endroit où contre les évidences Chestov se plairait à répondre que rien n’est impossible à Dieu. Mais il ne s’agit pas de savoir si c’est possible ou impossible à Dieu qu’un homme ait des ailes ou qu’il n’en ait pas, mais de comprendre que l’homme à l’image de Dieu ne se pose même pas cette question, puisqu’étant à l’image de Dieu justement. Seule la tentation pose la question du possible ou de l’impossible, car c’est le désir de devenir des dieux qui pousse les hommes à se prolonger dans l’autre que soi, dans le monde des possibles, dans la différence afin d’être autre chose qu’un seul homme, autre chose qu’un homme à l’image de Dieu dans un monde qui le porte. Chestov n’a pas réalisé, et c’est assez étrange, qu’il jouait au dieu autant que Platon avec ses mythes, et que Plotin avec ses extases. Ainsi le juste vit par la foi, et la foi ne pose pas de questions, elle n’est pas curieuse, la foi est le saut d’une liberté dans l’abîme, passage qui exprime l’obéissance, passage qui trouve son image, ce tu dois qui rend l’homme esclave de la loi de Dieu, le tu dois de Kierkegaard que tant de philosophes n’ont pas admis, Chestov ne faisant pas exception. S’il est remarquable de voir une belle œuvre dénoncer les évidences et trouver de la beauté à tous les soudain, il est par contre décevant de voir un si brillant auteur s’entêter dans le champ de tous les possibles.



  AU MILIEU DE L’ORAGE . – La chair ne veut pas mourir, et si on lui laissait le choix entre une vie éternelle dès à présent, ou mourir en vue de sa résurrection future…, il n’y aurait plus de foi sur la terre. La science, c’est le bien et le mal, elle donne la vie, elle donne la mort, sauve un corps, en perd un autre, cela n’est pas au pouvoir de l’homme mais appartient à celui de Babylone, au corps social tout entier, coagulation de l’humanité en un seul sang. Aussi, la chair du chrétien se trouvera sous l’emprise des liens sociaux de l’arbre de la mort, bien qu’une volonté contraire et particulière agisse dans ses membres. Pourtant si cela ne peut dépendre de sa seule volonté le corps social prendra le dessus. Par exemple il est de sa volonté de se préserver de l’impudicité mais pas d’empêcher la science de lui trouver un supplément de vie, car même s’il ne le souhaite pas elle le contraindra par le corps social qui le forcera à cet excédent, et ici tout est déjà entendu. Autre exemple : la guerre ; mais ici la fuite est encore possible. Mais comment fuir dans un corps malade ou en prison, ici le corps social garde toute sa force. Lorsque l’église, ou pour mieux le dire le corps du Christ, ne fait plus qu’une seule chair avec le corps social, alors son royaume descend sur terre et c’en est fait du christianisme. Lorsque les lois imposées iront contre le corps du Christ, il s’agira pour les chrétiens de désobéir, d’accepter les sanctions, ou de fuir quitte à rentrer dans l’anonymat.
  Le chrétien ne veut pas guérir ici-bas, mais il veut guérir là-bas. La souffrance est ce qui le révèle au milieu des âges et des siècles. Et d’un autre côté la liberté ne lui appartient plus : embarqué, il se trouve en pleine mer au milieu de l’orage, il n’y a pas une étoile pour l’accompagner, mais il s’agit pour lui de suivre celui qui marche sur les eaux.



  DANS LE TAUREAU DE PHALARIS . – C’est ici que je serai le plus dur envers Léon Chestov, mais c’est aussi parce que je comprends mieux les ouvrages de Jean Brun qui s’étendent si peu sur un auteur dont l’œuvre est une source à laquelle ils ont beaucoup puisé, jusqu’à reproduire sa plume dans les notions et les tournures. Il serait possible de supposer que la critique chestovienne du quatrième Evangile et de l’œuvre de Kierkegaard devaient trouver un désaccord silencieux et profond. Et là-dessus je me rangerai à l’avis de Jean Brun dont les introductions aux Œuvres complètes du maître sont toutes plus brillantes les unes que les autres.
  En France, à cette époque, les philosophes découvraient Kierkegaard, mais ils le découvraient sur le tard, alors il s’agissait de comprendre son œuvre au plus vite, de rattraper le temps perdu, produire les meilleurs essais, etc. Car Kierkegaard fut celui qui se dressa contre les travaux de deux géants, ceux de Hegel et de l’Eglise officielle. Alors on voulait être sûr de ne pas avoir manqué trop d’épisodes dans ce qu’on avait déjà commenté des géants en question. On observa son cerveau au microscope, et sous couvert d’érotisme toute une émulation entre savants pouvait jouer. C’est à qui ferait le plus vite tout en convenant de l’affaiblir, car le problème fut justement que : « Mince ! Kierkegaard l’avait déjà pensé ! » Un champion inconnu au bagage démesuré s’était déjà engagé dans une lutte bien avant tous, aussi fallait-il le déprécier aux yeux du lecteur moderne afin qu’il ne prît pas top de place dans les débats actuels, afin de conserver une popularité ; il s’agissait de rendre son travail moins important qu’il n’y parût, d’occuper le lecteur ailleurs, et de renvoyer l’essentiel de son œuvre au chevet de l’éros. Car à cette époque on se contentait le plus souvent de comprendre l’homme à travers sa Régine et ainsi on faisait fi de son Christ, à vrai dire l’idylle tombait bien. Ici Dieu reste accessoire, car la fiancée conditionne la foi, l’éthique, la poésie, les masques de l’homme, et toutes les autres catégories, du coup Dieu, Christ, l’Eglise, les sermons, le paradoxe, regardent un autre Kierkegaard, un Kierkegaard invisible, irréel, imaginaire, et pour la dialectique qui manquait à l’intelligence de la bien-aimée on dénonça une sympathie pour l’adversaire allemand qui ne se détachait pas complètement de l’œuvre, et c’est presque la totalité des textes et du sens qui passèrent à la trappe sans plus d’explications. Les philosophes aiment les généalogies et tracer les lignes droites qui vont d’un homme à un autre, et Chestov qui aurait à redire à ce sujet n’y échappe pas, or entre deux hommes la ligne n’est jamais droite. Il faut considérer que le couronnement se trouve à la fin d’une œuvre et non au commencement, pourtant on préfère considérer l’œuvre religieuse et les combats du philosophe danois sub specie aeterni, sous l’œil immuable de Régine, pour se donner quelque chose à mordre contre l’hellénisme et ressortir seul vainqueur des conciles œcuméniques et du géant Hegel qui dès lors pouvait rire du Dieu de Kierkegaard et désespérer de celui de Chestov. On aurait dit que Chestov voulait au plus vite ranger le maître dans sa poche pour ne plus le montrer à personne. Or le Dieu de Kierkegaard est loin d’être le même que celui des philosophes, à lire toute son œuvre on découvre en Socrate une figure poétique parmi d’autres qui se trouve à une distance infinie de Jésus-Christ : Socrate, comme il l’écrit dans un de ses discours, en qui il n a jamais cru et qu’il considère comme un néant comparé à la figure du Seigneur.
  A la lumière du serf arbitre luthérien Chestov ne supporte pas la résignation infinie, le renoncement absolu, qui déterminent la foi qu’il considère alors comme une œuvre salutaire du libre arbitre, il ne voit pas que le salut n’entre pas dans la conscience de celui qui saute dans l’abîme. En quelque sorte selon Chestov le Dieu de Kierkegaard s’est rendu esclave de la résignation qui précède la foi ; bien que ces deux mouvements puissent en décomposer un seul il s’agit pourtant de comprendre que le Dieu de Kierkegaard est le même que celui des Evangiles : Dieu est son Christ, Dieu est Amour, c’est-à-dire que Dieu est lui-même lâcher-prise, renoncement absolu, résignation infinie. J’ajouterai sur le mouvement de l’Amour que le Christ est lui-même espérance et foi, image de Dieu, et fils de Dieu. Est-ce l’audace, la révolte, qui sauveront l’homme ? Est-ce que l’audace et le repentir, l’audace et la mort à soi-même, forment un seul corps, font une seule chair ? Chestov est allé trop vite en besogne. Avait-il lu les Miettes philosophiques et le volumineux Post-scriptum qui l’accompagne à fond, mais surtout avait-il du temps à perdre ? Même pour ceux qui lui ressemblent Kierkegaard peut devenir un piège, mais je pense plus simplement, et au vu de son œuvre et d’autres considérations qui débordent ses pérégrinations, que la plume de Chestov s’est certainement laissée emporter dans les remous et les exercices d’une génération d’écrivains.



  LA FIN DE LUTHER . – Ce n’est pas le commencement qui couronne l’ouvrage mais la fin, car la fin couronne l’œuvre, mais à bon commencement mauvaise fin voilà ce qui se rencontre dans tout Martin Luther. Car Luther fut une sorte de David qui se cachait chez les Philistins pour fuir l’injuste Saül qui pourtant était l’Oint de Dieu, sauf que David ne resta pas chez les Philistins qui furent seulement des ennemis utiles. Plutôt que de se retrouver dans un grand labeur de traducteur et d’écrivain Luther aurait pu sortir de son cloître, et rejoindre une église à l’image du Royaume qui n’est pas de ce monde, jusqu’à devenir, s’il le fallait, un chrétien tout seul, voire un martyr, au lieu d’en concéder une nouvelle sur les ruines et les décombres de Babylone où Nicée et Augsbourg  faisaient une seule chair. Mais il fut tellement ébloui par les dimensions politiques que prirent sa Réforme qu’il désespérait tout à fait de l’âme de ceux qui ne la rejoignaient pas, il ne comprenait pas que le Juif errant et sans patrie se moquait, et avec raison, aussi bien de Rome que de Berlin, c’est pourquoi toute son œuvre se retrouva entre les mains du prince de ce monde. Selon ce modèle il s’agit alors pour celui qui ne renonce pas au siècle de s’élire, ou de se choisir, en rapportant la fin regrettable d’une œuvre à son début étincelant, et en effet Luther n’aura jamais touché Philippiens 3 : 14.



  AU FOND DU GOUFFRE . – Les textes de Benjamin Fondane adoptent et poursuivent les points de vue de Léon Chestov selon une philosophie vivante qui s’édifie sur une foi remplie d’audace et de révolte face à tous les murs logiques, ce qui s’entend d’une irrésignation face à la morale, à la raison, à la finitude et à la mort elle-même afin de voir éclore la richesse du réel. Une foi loin de tout renoncement absolu à soi-même, une foi qui s’oppose à la croix de la mort à soi-même, alors qu’il s’agit pour un croyant qui aime son maître de se charger volontairement des mêmes souffrances et des mêmes persécutions que le Chemin rencontra, et jusqu’à la mort de ce Chemin sur la croix, qui toutefois demeure un chemin avant comme après, un chemin de vie à travers la mort, qui est la mort à soi-même, un chemin vivant qui est aussi le maître en personne, et où la vérité, loin d’être une philosophie ou une passion qui sort de nos entrailles, coïncide avec la même personne. Comprenons que la vérité, le chemin et la vie, sont des existants et qu’il ne convient pas de dire comme si on parlait d’attributs qu’ils se trouvent dans mais plutôt qu’ils sont le Christ vivant ; aussi les autres hommes ne sont ni des vérités, ni des chemins, ni des vivants, mais ils sont menteurs, errants, et morts, car celui qui se pense vivant est mort aux yeux de Dieu et inversement celui qui se croit mort est bel et bien vivant. Bon gré mal gré nos philosophes embrassent une foi loin du gouffre en ce sens que leur regard le rencontre en refusant de s’y perdre : Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la trouvera. Pourquoi l’audace et la révolte d’un homme si ce n’est pour sauver son âme jusqu’au bord du gouffre ? A les lire ils n’ont que faire d’une repentance, ce qui est cohérent avec cette incompréhension du Concept d’angoisse lorsque Kierkegaard regarde la liberté comme une tentation, et qu’il s’intéresse à celle-ci mais en omettant la tentation que présente le serpent qui si toutefois il l’admettait deviendrait en quelque sorte une tentation au carré, et en l’opposant à Dieu qui selon l’apôtre Jacques ne tente personne (puisque chacun est tenté par soi-même, passage qui mériterait d’être plus souvent cité dans son intégralité que tronqué), et qui la situe donc dans l’homme, chose qui d’ailleurs rejoint le titre de son ouvrage qui est une réflexion d’ordre psychologique. Aussi pour s’intéresser au péché dans l’homme et à son caractère héréditaire Kierkegaard éloigne deux murs, le commandement divin et les paroles du serpent en tant qu’ils représentent des verbes extérieurs à l’homme, des murs que Chestov et Fondane préfèrent conserver pour protester contre.
  Le gouffre peut cacher une issue, comme un chemin, un chemin au fond du gouffre, un chemin à travers une mer abyssale ; la même que la foi de Moïse partagea pour découvrir le chemin où passerait tout Israël, comme une vie dans une fosse, la même que Daniel rencontra lorsqu’elle ferma la gueule des lions, et jusqu’à ses trois compagnons qui furent jetés dans un brasier pour y découvrir l’ange de l’Eternel au milieu d’eux. Il s’agit de rejoindre la voix de celui qui appelle, il s’agit de mourir pour la trouver, car c’est du fond de la mort qu’elle s’adresse à l’homme : Adam où es-tu ? Le Christ n’est pas sorti de la foi aussi le ciel se trouve dans le gouffre avec lui, mais le ciel n’est pas retenu et il s’élève au-dessus des abysses en attirant la foi avec lui, le Christ qui est le chemin, et après lui tous ceux qui ont préféré la mort à la vie en le suivant. Bien que le salut n’entre pas dans la conscience de celui qui saute, ce salut peut l’attendre dans l’abîme. Une porte peut s’ouvrir au fond du tourment et de l’angoisse pour celui qui criera : Du fond de l’abîme je t’invoque Seigneur !
  Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la trouvera. Ne trouve-t-on pas ce à cause de moi dans ce verset de Jean : Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ? Benjamin Fondane chevalier d’une audace révoltée s’est finalement résigné et a choisi de souffrir volontairement, il est entré de lui-même dans le taureau de Phalaris. Où alors il y serait entré par calcul philosophique, par audace : « Je ne partirai pas sans elle ! » sa liberté se déterminant au saut par révolte, par un « NON » qui en ferait l’économie, la révolte étant le salut qu’on prend avec soi dans le saut, ce qui est le refus d’être comme un seul homme loin des dieux éternels, ce qui est d’une vie ou d’une liberté à travers la mort, mais une mort philosophique, un apprendre à mourir dans un saut qui s’économise par l’audace de celui qui apprend ou qui s’arrange avec la mort. Mais une fois qu’on est dans le gouffre on y est sans celui ou celle qu’on aime, c’est du fond de l’abîme que nous entendons ce cri : Pourquoi m’as-tu abandonné ? et l’ultime prière de celui qui refuse la sentence, le tu mourras, c’est-à-dire « tu ne verras plus ma face », reste alors sans réponse. Perdre sa vie à cause du Christ, c’est se placer sous son sacrifice, sous le tu mourras, là où aucun salut ne touche la conscience, mais là où une issue se détache du fond de l’abîme. Celui qui saute par audace n’a pas complètement lâché prise, car l’audace, le « NON » proféré au bord du gouffre est encore un regard jeté en arrière, une raison qui refuse la mort et qui refuse de voir que le gouffre n’offre point de salut, l’existentialiste retient l’existence, ses yeux ne voient pas le gouffre tel qu’il est, il y trouve et imagine un fond, mais la mort et son séjour transcendent nos existences. Alors il convient de mourir avant de sauter, c’est de la mort à soi-même qu’il s’agit, car la mort n’a pas de pouvoir sur celui qui est déjà mort, la sentence rejette celui qui s’est déjà condamné. Aussi Benjamin Fondane s’est résigné à l’appel de la Vie et au lieu de s’y refuser il se jeta dans le gouffre.
  Ouvrir la porte d’une philosophie désuète car périmée d’avance à une seule personne, et être prêt à y perdre sa vie dans le sens de perdre sa vie pour la perdre avec la seule personne en question, et non pour sauver les générations et les futurs disciples, ce n’est plus faire œuvre de philosophe mais de chrétien. Benjamin Fondane s’est laissé emporter par l’amour du Dieu vivant, il a entendu une voix qui l’appelait du fond du gouffre, mieux il a suivi cette voix, et a rencontré celui qui appelle dans un abandon consenti par amour, il a lâché prise, s’est résigné à l’amour du Christ. La philosophie que ce soit celle de l’audace ou d’un autre nom voudra faire école et ouvrir sa porte à un large public, c’est au moins là son espérance, et la perspective de longues années d’études, de débats animés et d’enseignements, ne peuvent faire balancer cette affaire en faveur d’une philosophie ou d’un calcul quelconque surtout lorsqu’on est marié et qu’on laisse l’être le plus chéri et le plus aimé au monde sur le bord de l’abîme après s’y être jeté soi-même. Lorsqu’il considère une seule personne qui marche au-devant de la mort pour une mort ensemble, l’amour est loin du regard que la révolte jette derrière soi, cette personne est embarquée elle va de l’avant à son tour, c’est ici le regard vers l’inconnu, le regard qui s’enfonce et s’inscrit dans le gouffre, le regard d’un homme errant qui cherche une patrie, un regard plusieurs fois décrit par Chestov. L’amour découvre une résignation mais une résignation tournée vers l’avant, vers cet inconnu qui se trouve devant nous et qui appelle. Benjamin Fondane était mort avant de sauter, comme Abraham il est parti sans savoir où il allait, mais il a répondu à l’appel, à la voix qui le secourut : Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera.



  L’ HOMME RICHE . – C’est dans cette parabole de l’homme riche et du pauvre Lazare que l’homme sans Dieu est devenu transparent à lui-même, et il le deviendra encore dans ce gouffre qui sera la tombe d’où il ne trouvera pas d’issue, aucun échappatoire à cause de cette transparence justement, de cette marque que les Ténèbres porteront à sa conscience. Marqué dans la certitude de demeurer un non-amour de Dieu et de son prochain, un non-amour de l’autre que soi ; aucun lâcher-prise ne venant à la conscience, mais la recherche absolue du ciment qui fait d’un homme un dieu parmi les dieux : commerce, mélange des sexes et des intérêts qui ne servent que l’homme. Des hommes qui contre Dieu se coagulent pour façonner le corps social d’une bête babylonienne, édifier l’ Homme et son commerce, agglutinement et ralliement au moyen de la pensée, de l’argent et des machines, amour du prince de ce monde à son corps défendant, mais bel et bien présent, porté par une conscience où perdure le désir d’un appétit insatiable de dominer sur le tout et sur nous tous, or le monde de l’homme et le chiffre de son nom regardent le commerce qui s’est retrouvé sur le dos d’une bête babylonienne. Bête sociale, religieuse et artiste, qui sera jetée dans le feu éternel pour la seconde mort, celle de la chair ressuscitée, marque du renoncement et d’un chemin éternel, afin que des hommes exaucés aient soif de la chair et du sang qu’ils voulaient outrager, prolonger et dépasser, pour l’avenir des dieux loin de Dieu et de l’ Homme loin des hommes ; et ici il s’agit de comprendre que chez l’homme le lâcher-prise, le renoncement et la foi, jouent à travers la chair et le sang dont ils ne peuvent se passer : ce qui est d’être un seul homme, dans les prémices d’une chair éternelle, face au seul Dieu vivant.
  On songera aux tourments avant l’heure d’un démon sans corps lors de l’épisode biblique des pourceaux. La conscience est éternelle mais l’espace et le temps sont les sens dont les mouvements portent le renoncement à la conscience, aussi en Dieu nous avons la vie, c’est-à-dire le mouvement et l’être, son renoncement. Pour ne plus trouver la vie d’un homme en Dieu il suffit d’en écarter l’être ou le mouvement de sa Présence, le jugement divin enceinte de l’amour ôte le mouvement là où il s’agit d’empêcher d’avancer la main, et ainsi de l’homme riche qui fut obligé de demander à Lazare d’avancer son doigt vers lui pour le rafraîchir. Les mains du riche sont liées, mais sur terre, de son vivant, a-t-il seulement voulu délier celles de Lazare ? On comprendra maintenant cette ordonnance prise au sujet de l’homme qui se retrouve dans le livre de la Genèse : Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement ; pour passer les chérubins gardiens du chemin qui conduit à l’arbre de vie il faut se munir du renoncement, du lâcher-prise et de la foi, ou pour le dire en peu de mots il faut mourir pour vivre, tout ce qui se dit de la mort à soi-même.



  L’ EXCEPTION . – Tout cela tombe sous les yeux, on nous montre des malheurs sans le concours de notre volonté, on les rencontre aussi sans qu’on nous les montre, il est très difficile d’évoluer en terrain connu lorsqu’on a touché les existences qui nous dépassent, et il est sûrement plus facile de se résoudre devant un inconnu. Comment trouver la force de Benjamin Fondane, et de faire un seul pas dans l’adversité et le malheur que l’on connaissait pour nous avoir précédés ? Comment a-t-il réussi à s’abandonner entre les mains du nazisme, un des pires sortilèges que l’homme ait trouvé pour servir les Ténèbres ? D’un autre côté il fut entre les mains d’une grâce bien particulière, mais se doutait-il qu’il deviendrait l’exception, et une exception redoublée par rapport à ceux qu’il avait pu suivre, aimer ou imiter ? Le dernier geste de sa vie transcende toutes nos œuvres et parle autant que les Evangiles. Ce geste fatal rend l’encre inutile et vaine, autant la sienne, celle de ses contemporains autant que la nôtre. Il fut comme un Christ conduit à la boucherie, il est mort comme un Christ, comme le Christ qui n’a rien écrit. Il est mort par amour et dans l’amour, un amour qui l’appela à le suivre de l’autre côté du malheur. Aussi l’apparence du premier abandon en souligne un second bien réel, l’ultime abandon qui se fait par la foi entre les mains du bonheur.




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