Ce petit traité éthico-religieux de 1849 est aussi la première traduction française que nous avons d'un texte de Kierkegaard, elle fut précédée d'une introduction à son œuvre. Je me suis permis de soigner la ponctuation de l'ensemble, pour lire le grec on pensera à installer SPIonic.
EN QUOI L’HOMME DE GÉNIE DIFFÈRE-T-IL DE L’APÔTRE ?
TRAITÉ ÉTHIQUE-RELIGIEUX PAR S. A. KIERKEGAARD
TRADUCTION DU DANOIS PAR J. GÖTZSCHE, COPENHAGUE, 1886
Notice sur la vie et les œuvres de S. A. KIERKEGAARD par H. P. KOFOED-HANSEN
L’auteur dont nous offrons
aujourd’hui les œuvres
au public français sous forme de traduction du danois, est
sans
contredit un des plus remarquables parmi les écrivains
religieux
et philosophes du siècle présent. Par malheur il
rédigeait ses écrits en danois, langue peu
étudiée hors du Danemark ; sans cela il serait
déjà lu et admiré partout en Europe.
La
renommée de S. A. Kierkegaard va pourtant toujours en
grandissant. Pendant ces dernières dizaines
d’années plusieurs de ses écrits ont
été traduits en suédois, en allemand
et, à
ce que je sache, aussi en hollandais. Et il n’y a pas
à en
douter, à mesure que ses écrits seront lus
à
l’étranger, on en reconnaîtra de plus en
plus la
valeur et l’importance.
À l’usage des
personnes disposées à suivre l’exemple
de quelques
Allemands qui ont étudié le danois afin
d’être en état de lire le texte original
des
œuvres de S. A. Kierkegaard, nous allons tracer un
aperçu
rapide sur la tendance et le mode de développement de ses
compositions. Écoutons d’abord l’auteur
dans un
post-scriptum à des exhortations publiées en 1851
:
« Un écrivain, dont
l’activité est graduelle
et progressive, et qui a débuté par
«l’Un ou
l’Autre», cherche au pied de l’autel le
lieu de son
repos définitif. Plus que personne l’auteur a la
conscience de ses défauts et de ses
péchés. Il
n’aspire point au nom d’apôtre.
Poète et
philosophe — d’une façon
particulière
— il est sans autorité et ne vous apporte rien de
nouveau.
Il ne prétend qu’à relire encore une
fois le vieux
livre primitif qui traite des rapports individuels des existences
humaines et, si cela est encore possible, saisir d’une
manière plus intime l’esprit de la tradition que
nous ont
transmise nos pères. »
Kierkegaard préluda par une
dissertation sur un traité
assez volumineux: «De l’ironie, par rapport
à
Socrate». Puis en 1843 il débuta par
l’œuvre
ci-dessus mentionnée: «l’Un ou
l’Autre»,
en deux volumes. Philosophe et poète, l’auteur
expose
l’idée de la vie, esthétique et
éthique,
comme un point d’appui essentiel dans les troubles
d’esprit
et les conflits spirituels de la société.
Il publia ensuite plusieurs écrits
moins volumineux parmi
lesquels nous signalons à l’attention le
traité:
«Heures d’angoisse», où
l’auteur se
réfère à Abraham et surtout
à
l’holocauste d’Isaac afin de nous exposer
l’essence
de la foi et l’importance de celle-ci quant aux rapports de
l’homme avec Dieu.
Presque de front avec ce livre il fit
paraître: «Fragments
philosophiques», une de ses plus vives sorties contre la
philosophie d’alors, surtout celle de Hegel. Aux
«Fragments
philosophiques» succéda une œuvre
complémentaire plus volumineuse: «Post-scriptum
peu
scientifique et final». Le titre indique que les volumes
publiés forment le premier stade dans sa carrière
d’auteur. Ces deux derniers ouvrages parurent sous le
pseudonyme:
Jean Climacus. Les écrits antérieurs
étaient de
même pseudonymes. Dans le titre des deux derniers ouvrages il
déclare en être l’éditeur. Il
indique par
là qu’il s’est personnifié
plus directement
dans ces écrits ou, pour mieux dire, que le contenu en
était en rapport plus intime avec sa philosophie sur la vie.
Ils
forment la transition à ce qu’il se proposait
comme but
principal, savoir: d’exposer le christianisme et la foi
chrétienne dans leurs rapports avec la science et la
société. Il réalisa ce
problème par deux
ouvrages d’Anticlimacus: «Malade à la
mort» et
«Le christianisme mis en pratique», dont il se
déclara aussi l’éditeur. Outre ces
ouvrages
parurent encore de nombreuses exhortations, intitulées:
«Exhortations chrétienne»,
«Exhortations
diverses», «Les œuvres de
l’amour
chrétien». Par ces écrits il explique
et
interprète les paroles de la Sainte Écriture,
démontre leur importance pour l’âme par
rapport
à Dieu et l’éternité, et
nous apprend
à en faire l’application.
Toute la société
littéraire d’alors
était prise de vertige philosophique ; partout on
prétendait que, pour bien saisir ce que c’est que
la vie
par rapport au monde transcendant et éternel, on ne saurait
s’arrêter au christianisme dans sa forme primitive.
On
devrait d’abord élever la doctrine à
une
sphère plus idéale, débarrasser de
leur forme trop
épaisse les idées qui font la substance de cette
doctrine
et les élaborer par l’intelligence. Par les
ouvrages
cités plus haut ainsi que par plusieurs écrits
analogues,
S. Kierkegaard combattit ces idées et les efforts
qu’on
faisait pour les réaliser. Prenant pour point de vue la
science,
il établit l’incontestabilité de la
foi, et
affranchit le christianisme de la spéculation.
La perspicacité de son esprit critique
lui fit pourtant
reconnaître que, même là où
le christianisme
paraissait le mieux établi, la communauté de
l’Église actuelle, le culte, et
l’état des
âmes étaient peu conformes à
l’esprit
chrétien tel que l’expose le Nouveau Testament.
Par ses réclamations il
espérait que persuadés,
les supérieurs de l’Église et surtout
l’évêque principal se prononceraient.
Kierkegaard
eût alors consacré toute sa
productivité
littéraire à défendre
l’état actuel,
pourvu qu’on reconnût combien on
s’était
écarté de l’idéal, et
qu’on fît
de sérieux efforts pour y atteindre.
Ses espérances furent
déçues. Il ne trouva aucun
appui, ni auprès du clergé, ni auprès
de
l’évêque. Celui-ci vint à
mourir et son
successeur, étant un jour en chaire, fit mention du
décédé comme d’un
«véritable
apôtre, nouvel anneau ajouté à la
sainte
chaîne des martyrs. qui remonte jusqu’aux temps des
apôtres». S. Kierkegaard riposta au nom du
christianisme,
par un article très vif dans un journal
réputé. Il
faisait valoir que la position et la manière de vivre des
pasteurs de l’Église les rendaient peu dignes du
nom
d’apôtre.
Ses protestations ne trouvèrent aucun
écho auprès
du clergé qui se refusa à reconnaître,
combien les
réclamations de Kierkegaard étaient
fondées. Dans
une suite de pamphlets intitulés:
«L’état
actuel», Kierkegaard s’attaqua alors
impitoyablement et
sans trêve à ce qui, selon son dire,
était
«le christianisme officiel». Il accusait le
clergé
protestant, et surtout les pasteurs en Danemark «de tourner
la
chose en plaisanterie». Le clergé pourtant
n’accepta
point le défi.
Muni de toutes les armes de l’ironie il
continua néanmoins
cette polémique acharnée pendant toute une
année:
la mort l’arrêta en novembre 1855.
Nous terminons cet exposé en citant les
paroles d’un
auteur catholique, relatives à S. A. Kierkegaard:
«En
lisant ses sermons foudroyants, on dit: un saint
n’eût
point parlé avec cette morgue et la logique impitoyable
d’un cœur dur, et puis vous ajoutez: il a failli
être un saint.»
EN QUOI L’HOMME DE GÉNIE DIFFÈRE-T-IL DE L’APÔTRE ?
Comment
l’exégèse et la spéculation
erronée sont-elles parvenues à embrouiller
l’idée chrétienne?
La réponse catégorique est
celle-ci :
«Elles ont tout simplement fait reculer le paradoxe de la foi
chrétienne dans la catégorie de
l’esthétique, de sorte que tout terme
chrétien qui, en restant dans sa sphère est
essentiellement catégorique, en est à
présent réduit à servir
d’armes au bel esprit.»
Mais, si vous abolissez le paradoxe religieux ou
que vous le rameniez
à la sphère de l’esthétique,
l’apôtre ne sera qu’un homme de
génie et, c’en est fait du
christianisme.
Or, la science erronée a
jeté la perturbation
dans le christianisme ; de là l’erreur
s’est glissée dans
l’élocution religieuse, et souvent vous entendez
le prédicateur compromettre — bona fide
— le christianisme en appelant votre attention sur
l’esprit méditatif de Saint-Paul, sur ses belles
métaphores, et ainsi de suite. Rien que de
l’esthétique. Saint-Paul s’adapte
très peu au titre d’homme de génie. Il
n’y a que l’ignorance d’un
prêtre incapable de discerner, qui s’avise de
vanter l’apôtre en termes esthétiques.
En prodiguant des louanges à l’apôtre,
peu importe sur quoi, elle pense toujours bien faire. La
simplicité d’un tel prédicateur tient
à ce qu’il n’a point appris à
penser rationnellement, sans cela il aurait su qu’en
prodiguant des louanges imméritées ou en relevant
des qualités non essentielles, il fait oublier à
son auditoire ce que vaut réellement
l’apôtre.
Sans hésiter, ce phraseur niais appelle
l’attention sur le style de Saint-Paul ou sur
l’ouvrage manuel dont s’occupait
l’apôtre. Il fera valoir qu’aucun faiseur
de tentes n’ait jamais atteint à la perfection
avec laquelle s’acquittait Saint-Paul.
Pour ce qui est du génie, Saint-Paul
n’est point
l’égal de Platon, ni de Shakspeare ; il occupe une
place très inférieure parmi les auteurs des
jolies métaphores ; son style lui assigne une modeste place
— et quant au faiseur de tentes je ne saurais
préciser à quel degré de perfection
l’artisan est parvenu à
s’élever.
Je demande pardon au lecteur de cette plaisanterie
; on ne se
débarrasse du sérieux d’un niais
qu’en riant à ses dépens.
Reprenons notre sérieux : Platon,
Shakspeare et les faiseurs
de tentes n’ont rien de commun avec
l’apôtre Saint-Paul.
L’homme de génie et
l’apôtre
diffèrent qualitativement. Ce sont des notions qui
appartiennent chacune à sa sphère qualitative : l’Immanence
et la Transcendance.
1. Or,
l’homme de génie nous enseigne peut-être
du nouveau, mais sa doctrine s’évanouit,
n’ayant pour soutien que l’humanité qui
se l’est assimilée. La notion de
«génie»
disparaît de
même devant l’idée de
l’éternité.
L’apôtre
nous enseigne, lui aussi, du nouveau, mais c’est quelque
chose de permanent, car c’est le paradoxe et non pas une
anticipation relative au procédé du
développement de l’esprit humain.
Aussi
l’apôtre différera-t-il à
jamais des autres hommes de toute la distance que peut faire
naître un paradoxe.
2. Ce
qu’un
homme de génie est il l’est par lui-même
: par ce qu’il est en lui ; l’apôtre
tient tout de par son autorité divine.
3. La
téléologie de l’homme de
génie n’est qu’immanente, tandis que
celle de l’apôtre est absolue et paradoxale.
I. La méditation est essentiellement
immanente tandis que le
paradoxe et la foi forment à eux une sphère
qualitative. Au point de vue de l’immanence, toute
différence dans les relations de l’homme
à l’homme en tant qu’homme
n’est qu’un élément devant la
méditation vraie et éternelle. Valide
momentanément, sa validité se
réduit pourtant à rien devant
l’identité éternelle. Le
génie, comme l’indique le mot (ingenium),
l’inné, (primus),
la primitivité, l’originalité (origo),
c’est l’immédiateté, le don
de la nature. On est
homme de génie dès la naissance.
Bien avant qu’il soit possible de juger si l’homme
de génie va ou ne va point consacrer à Dieu ses
moyens remarquables, il est homme de génie et restera tel
quand même il ne se réfère point
à Dieu. L’homme de génie va
peut-être se métamorphoser et parvenir
à avoir la conscience de lui-même. Le mot de paradoxe
appliqué à la nouvelle idée que
propage alors l’homme de génie,
n’indique qu’un état transitoire,
l’anticipation qui a passé en paradoxe pour
s’évanouir ensuite. L’homme de
génie devance de plus d’un siècle,
peut-être, ses contemporains, et ceux-ci finissent par
adhérer au paradoxe qui, par conséquent, ne leur
paraît plus tel.
Quant à l’apôtre il
en est tout
autrement, le mot même nous le dit. On n’est point
apôtre dès la naissance.
L’apôtre est l’envoyé de Dieu.
Durant toute sa vie sa vocation est pourtant un fait paradoxal et par
conséquent sans identité avec sa
personnalité. L’Homme aura atteint
l’âge mur bien avant qu’il ait conscience
de sa vocation comme envoyé de Dieu. Il n’en a
pour cela ni plus d’esprit ni plus de sagacité,
etc. ; il reste tel qu il est, à cela
près que, par le fait paradoxal il est maintenant
l’envoyé de Dieu, et en vertu du paradoxe par
conséquent différent de tous les autres hommes.
La nouvelle doctrine prêchée par lui, est
essentiellement paradoxale tant qu’elle est
proclamée dans le monde ; nulle immanence ne pourra
l’assimiler. Il n’en est point de
l’apôtre comme de l’homme de talent qui a
pris les devants sur ses contemporains. L’apôtre
est peut-être regardé comme un homme simple
qu’un fait paradoxal appelle à proclamer la
nouvelle doctrine. Que la spéculation pense pouvoir
assimiler celle-ci : elle ne vient jamais à bout
d’assimiler la manière dont la doctrine se
manifesta, le paradoxe, à proprement parler,
étant précisément la protestation
contre l’immanence. La manière dont la doctrine se
manifesta est pourtant le point essentiel qualificatif par excellence,
ce à quoi il faut faire attention à moins
qu’on ne soit ou un imposteur ou un imbécile.
II. Esthétiquement, on
apprécie l’homme
de génie rien que par sa valeur intrinsèque,
tandis que l’apôtre tient toute sa valeur de
l’autorité divine qui lui a
été transférée. Ici le
point essentiel qualificatif c’est
l’autorité
divine.
En analysant esthétiquement ou
philosophiquement la
substance de la doctrine je ne déduis point et ne dois pas
déduire : ergo, l’homme qui prêche cette
doctrine, a été élu par une
révélation, donc il est un apôtre. Par
contre il faut dire : L’élu à qui la
doctrine a été confiée par une
révélation, tire ses arguments
précisément de l’autorité
que lui transmet cette révélation. Il ne me faut
point écouter Saint-Paul à cause de son esprit,
mais je dois lui obéir parce qu’il est
l’élu de Dieu. À Saint-Paul de faire
valoir son autorité divine, que son auditoire la respecte ou
non. Saint-Paul est un nigaud s’il s’en rapporte
à son esprit et qu’il entame une discussion
purement esthétique ou philosophique sur l’essence
de la doctrine. Il faut qu’il fasse valoir uniquement son
autorité divine par laquelle il empêche la
philosophie et l’esthétique d’attaquer
insolemment la substance et la forme de la doctrine. Saint-Paul ne va
point par de jolies métaphores appeler l’attention
sur lui et ce qu’il enseigne. Il dira plutôt :
«Peu importe que la métaphore soit belle ou
commune et surannée. Il te faut seulement bien retenir ceci
: Ce que j’avance m’a été
confié par une révélation.
C’est Dieu ou le Seigneur Jésus-Christ qui te
parle, et tu n’auras point l’audace de critiquer la
forme de sa révélation. Je ne puis, et je
n’ose point te contraindre à
l’obéissance, mais, me servant des liens par
lesquels ta conscience te rattache à ton Dieu, je te rends
responsable à tout jamais de la manière dont tu
envisages la doctrine que j’ai prêchée
d’autorité divine, parce qu’elle
m’a été
révélée.»
L’autorité
est le point essentiel qualificatif.
Vous sentez bien que, rien que dans les relations de la vie de
l’homme ici-bas, il y a déjà entre une
ordonnance de par le Roi et les paroles du poète ou du
philosophe une grande différence — quand
même celle-ci disparaît devant
l’immanence. L’ordonnance de par le Roi commande
avec autorité et prévient par
conséquent toute insolence de la part de la critique ou de
l’esthétique. En ce sens
l’autorité du poète ou du philosophe
est nulle. Leur proposition n’est jugée que selon
son rapport à l’esthétique et la
philosophie qui en apprécient la substance et la forme. La
perturbation jetée dans les idées
chrétiennes provient de ce que d’abord on a failli
révoquer en doute l’existence de Dieu, et
qu’ensuite on s’est rebellé contre toute
autorité qu’on est venu à bout
d’oublier ainsi que sa dialectique. Le Roi existe ; on peut
s’en convaincre par les sens. Il pourra au besoin nous donner
une preuve palpable de son existence. Mais il n’en est point
littéralement ainsi pour ce qui concerne Dieu. Le doute en a
tiré parti en traitant Dieu de pair avec tous ceux qui
n’ont point d’autorité tels que les
hommes de génie, les philosophes et les poètes,
dont on n’estime les paroles que par leur portée
esthétique ou philosophique. Le poète parle-t-il
bien — le voilà un génie ; et vient-il
à trouver une expression tout à fait heureuse
— c’est Dieu qui parle !
Or, de cette façon on écarte
Dieu ; il est nul.
Appelle-t-il l’homme par une révélation
et l’envoie, muni d’autorité divine, aux
autres hommes, ceux-ci lui demandent : Qui t’a
envoyé ? Et lui de répondre : Dieu. Pourtant Dieu
ne lui vient point en aide comme le pourra un roi en le faisant
escorter par des soldats ou des officiers de police, ou en lui
remettant une bague, ou sa signature royale qui est connue de tout le
monde. Bref, Dieu n’oblige point les hommes en leur
démontrant par des preuves palpables la validité
de l’apôtre. Le miracle n’offre aucune
garantie matérielle,
vu qu’il s’impose
à notre foi. Et puis c’est du non-sens que de
demander une garantie matérielle
de la validité
de l’apôtre (élément
paradoxal d’un rapport spirituel) ou de l’existence
de Dieu qui est esprit. Donc, l’apôtre
prétend être l’envoyé de
Dieu. On lui répond : À la bonne heure ! Nous
allons examiner la substance de ta doctrine. Que celle-ci soit vraiment
divine nous l’adopterons et croirons à la
révélation. On donne ainsi le change
et à Dieu et à l’apôtre. Au
lieu que l’autorité divine de ce dernier allait
préserver la doctrine de tout examen insolent, on en
critique la substance et la forme afin de savoir si elle provient
d’une révélation. Et, en attendant que,
au premier étage, les savants
délibèrent sur le problème, Dieu et
l’apôtre vont faire antichambre dans la loge du
portier. Au lieu que, par son autorité divine
l’élu de Dieu met à la porte tous les
insolents qui raisonnent au lieu d’obéir, les
hommes en font un candidat qui, l’examen passé, va
colporter une nouvelle doctrine.
Qu’entendez-vous par autorité
? Provient-elle de
la supériorité de la doctrine ou des
idées sublimes qu’elle nous
révèle ? — En aucune façon !
Nulle est l’autorité qui se sert d’un
réduplicatif pour indiquer que la doctrine est sublime, vu
qu’il n’y a plus de différence entre le
maître et l’élève, pourvu que
celui-ci pénètre bien à fond la
doctrine et se l’approprie en entier. Mais pour avoir
pénétré bien à fond la
doctrine il ne s’ensuit point qu’on en ait acquis
l’autorité,
qui constitue un titre, une
qualification émanant d’une autre source.
Voilà pourquoi elle se fait valoir qualitativement
dès que la substance de la parole ou de l’action
est traitée par les esthétiques comme chose
indifférente.
Je vais citer un exemple bien simple : Que deux
hommes dont
l’un est le dépositaire de
l’autorité, disent à un autre homme :
Allez ! il y a identité quant à la forme et la
substance, et le dire de l’un vaut autant que celui de
l’autre par rapport à
l’esthétique, mais nullement par rapport
à l’autorité. Celle-ci est nulle
dès qu’elle n’est point le
to e3teron
et
qu’elle n’indique rien qu’une exaltation
de l’identité. Le maître
pénétré du sentiment d’avoir
tout sacrifié pour la doctrine prêchée
par lui, agira avec fermeté ;
l’autorité ne lui vient pourtant point de la
conscience d’avoir fait son possible. Sa vie ne nous prouve
point l’excellence de la doctrine, car elle n’en
est qu’une simple réduplication. En
réglant sa vie sur la doctrine il ne démontre
point que celle-ci est excellente mais simplement qu’elle lui
paraît telle, tandis qu’un officier de police,
qu’il soit un fourbe ou un honnête homme, a
toujours de l’autorité dès
qu’il entre en fonction.
Pour mieux définir la notion de
l’autorité si importante dans la sphère
paradoxale-religieuse, je poursuis la dialectique sur
l’autorité.
La sphère de l’immanence n’admet point
l’autorité ou l’admet tout au plus comme
un élément transitoire qui
s’évanouit déjà dans la
finité qui, à son tour, va
s’évanouir avec toutes ses différences.
Devant la
spéculation tous les rapports de
l’homme à l’homme en tant
qu’homme, sont basés sur la différence
quant à l’identité immanente,
c’est-à-dire sur une conformité
essentielle. Une qualité spécifique ne saurait
faire inférer qu’un homme diffère de
tous les autres hommes. (Ce serait mettre fin à toute
spéculation comme cela arrive tout naturellement dans la
sphère du paradoxe religieux et de la foi). Devant la
spéculation toute différence entre
l’homme et l’homme en tant qu’homme
s’évanouit comme un élément
de la totalité et la qualité de
l’identité. Dans les relations politiques,
sociales, domestiques ou disciplinaires il me faut respecter la
différence (l’autorité) et lui
obéir ; la religion m’édifie par la
promesse que dans l’éternité les
différences seront nulles, celles qui m’humilient
ainsi que celles qui m’exaltent. Sujet de mon roi je dois lui
obéir et l’honorer ; il m’est pourtant
permis de m’édifier religieusement par la
pensée que le ciel est ma véritable patrie et, si
par hasard j’y rencontre feu sa Majesté, je ne
suis en aucune façon tenu à la
sujétion.
Or, tel est le rapport de l’homme
à
l’homme en tant qu’homme. Mais entre Dieu et
l’homme il y a une différence éternelle
et essentiellement qualificative qu’on ne
saurait escamoter qu’au moyen d’une
spéculation audacieuse et blasphématoire, et la
voici :
Dieu et l’homme diffèrent
tant que dure
l’élément transitoire de la vie
terrestre. De son vivant l’homme doit obéir
à Dieu et l’adorer, tandis que dans
l’éternité la différence est
convertie en une ressemblance fondamentale qui fait l’homme
l’égal de Dieu ainsi que le sont la feue
Majesté et son valet de chambre.
Or, il existe et existera éternellement
une
différence essentiellement qualificative entre Dieu et
l’homme. Le
rapport paradoxal-religieux (qu’on ne saisit que
par la foi mais point par la spéculation) naît de ce que Dieu
confie à un homme l’autorité divine
par rapport, bien entendu, à la mission dont il est
chargé. L’homme ainsi élu devient
étranger à la proportion : l’homme
à l’homme en tant qu’homme. Il
n’y a aucune différence de quantité
(homme de génie, homme d’esprit etc.) entre lui et
les autres hommes. Il s’y rapporte paradoxalement, ayant une
qualité spécifique dont l’immanence ne
saurait jamais reproduire l’identité
éternelle, cette qualité étant
essentiellement paradoxale et contraire à la
spéculation (à laquelle elle succède
au lieu de la précéder). Supposons
qu’un homme ait conçu par lui-même la
doctrine que nous apporte de par une ordonnance divine
l’envoyé de Dieu, ces deux hommes resteront
pourtant à jamais dissemblables,
l’envoyé de Dieu se distinguant de tous les autres
hommes par sa qualité spécifiquement paradoxale
(l’autorité divine) ainsi que de
l’identité essentielle qui est la notion
constitutive et immanente sur laquelle sont basées toutes
les différences entre les hommes. La notion d’Apôtre
appartient à la sphère transcendante du paradoxe
religieux, et se manifeste par conséquent d’une
manière qui diffère qualitativement de la
relation entre l’apôtre et les autres hommes,
savoir : ils se rapportent à lui par la foi tandis que la
spéculation est toujours dévolue à
l’immanence. Pourtant la foi est tout aussi peu un
élément transitoire que ne le serait la
qualification paradoxale de l’apôtre.
Or, pour ce qui est de
l’autorité dans les
rapports de l’homme à l’homme en tant
qu’homme, la spéculation n’admet aucune
différence durable
ou permanente,
l’autorité, n’étant
qu’un élément transitoire.
Pourtant
l’éternité abolit toutes les
autorités ici-bas ; mais, en est-il de même quant
à la sphère transcendante ? Citons un exemple
bien simple et cependant très éclatant : Le
Christ dit : «Il y a une vie éternelle»,
et puis une autre personne répète les
mêmes paroles. Les deux énonciations se valent
esthétiquement quant à la déduction,
le développement, l’esprit méditatif et
l’abondance de pensées ; toutefois elles
diffèrent qualitativement. Le Christ, l’homme
Dieu, possède la qualité
d’autorité spécifique que
l’éternité ne saurait assimiler, de
même qu’elle ne saurait rabaisser le Seigneur au
niveau de l’égalité essentiellement
humaine. C’est pourquoi le Christ enseignait avec
autorité, et il n’y a que le
blasphémateur qui demande si le Christ est un esprit
méditatif. De cette manière on écarte
(à dessein ou involontairement) le Christ en
révoquant en doute son autorité. Le censurant
avec un sans-gêne impertinent, et Le traitant en
écolier à qui on fait réciter sa
leçon, tandis que c’est à Lui
qu’a été conféré
tout pouvoir aux cieux et sur la terre.
De nos jours très peu de dissertations
religieuses sont tout
à fait correctes quant à ce point. Même
les meilleures d’entre elles se mêlent un peu de ce
qu’on serait sensé d’appeler une
révolte — inconsciente ou
préméditée — en
défendant l’idée chrétienne
et la soutenant avec la plus grande énergie mais
malheureusement on ne la classe pas dans des catégories
régulières. Citons un exemple, le premier venu.
Un prédicateur disserte sur le texte de Jean VIII 47, 51 :
«Celui qui est de Dieu
écoute les paroles de Dieu» et
«Si quelqu’un garde ma parole il ne mourra
jamais» et l’orateur de continuer : «Les
paroles du Seigneur nous fournissent la solution de trois grandes
énigmes auxquelles de tout temps les hommes se sont rompu la
tête pour en trouver le mot.» Nous y
voilà. Les «trois grandes énigmes qui
ont fait rompre la tête aux hommes» nous
ramènent aussitôt à la
spéculation et l’esprit méditatif.
Pourtant comment prétendre qu’une simple
affirmation apodictique soit l’effet de la
méditation ? L’affirmation apodictique tient toute
sa valeur de celui qui l’a énoncée ;
elle ne demande point qu’on cherche à
l’approfondir ; il faut simplement la croire. Comment
l’homme pourrait-il prétendre avoir
trouvé par la méditation une simple affirmation
qui est le mot de l’énigme ? Il s’agit
de savoir : Y a-t-il une vie éternelle ? — On nous
répond : «Assurément.»
L’esprit méditatif n’est
pour rien dans cette réponse. Celle-ci ne provient-elle
point du Seigneur, ou que le Christ ne soit pas ce qu’il
prétend être, il faut toujours que
l’esprit méditatif y soit, si toutefois
l’affirmation est le fruit de la méditation.
Supposons que Mr. X. vienne nous affirmer qu’il y a une vie
éternelle. Cette simple affirmation n’induira
personne à appeler Mr. X. un esprit méditatif.
Or, le point essentiel n’est pas l’affirmation,
mais bien le fait que c’est le Seigneur qui l’a
énoncée. On confond les idées en se
servant de la méditation comme d’un
appât pour attirer les hommes à la foi. Le
prédicateur qui s’exprime correctement, dira :
«Nous en avons la parole du Seigneur : il y a une vie
éternelle. Cela doit nous suffire, car le Seigneur a
parlé, non en esprit philosophique mais de par son
autorité divine.» Passons outre et
supposons que, sur la parole du Seigneur un homme croie à la
vie éternelle. La foi le dispense alors «de se
creuser le cerveau» par des méditations. Supposons
ensuite qu’un autre homme veuille méditer
sérieusement sur la question de la vie éternelle.
Ne pourra-t-il pas avec raison se refuser à accepter la
simple affirmation comme une réponse provenant de la
méditation ? Ce que Platon nous dit sur la vie
éternelle, provient d’une méditation
profonde et sérieuse ; voilà
précisément pourquoi le pauvre Platon est
dépourvu d’autorité.
Voici pourtant l’état de
l’affaire : le
doute et l’incrédulité, dont se nourrit
la vanité de certains chrétiens, ont
amené les hommes à ne point vouloir
obéir à l’autorité.
À leur insu, peut-être,
l’idée de la révolte s’empare
de l’esprit même des gens de bien, et les
voilà lancés dans le
maniéré — qui, à vrai dire,
est une perfidie — prêchant du sublime, du
merveilleux qu’on entrevoit etc. De nos jours il
faut qualifier d’affectation
l’élocution
religieuse. Je ne fais point ici allusion à
l’emploi d’expressions onctueuses ni aux gestes,
trop pittoresques peut-être. Tout cela est moins important,
quoiqu’il soit toujours désirable qu’on
s’en abstienne. Ce qu’on peut critiquer
c’est alors que la suite des idées de la
dissertation religieuse soit affectée, le
prédicateur insistant sur des arguments sans valeur et
exhortant à la foi par des raisons incapables
d’être l’objet de la foi. Nous
qualifierons d’affecté le fils qui dirait :
«J’honore mon père, non pas à
cause de ce qu’il est mon père, mais parce
qu’il est un homme de génie, ou, que ses
commandements soient ceux d’un homme
d’esprit.» Le fils se base à tort sur un
élément tout à fait
étranger au commandement. Il obéit en vertu de
l’esprit philosophique du père, tandis que
l’obéissance est déjà
sapée
à sa base par la critique relative
à l’esprit philosophique du commandement.
C’est encore de l’affectation que de
répéter à
satiété qu’il faut embrasser la foi
chrétienne à cause de l’esprit
philosophique de la doctrine. La spéculation moderne est
atteinte d’affectation pour avoir supprimé
d’une part l’obéissance
et de
l’autre l’autorité
tandis
qu’elle prétend toujours à
être orthodoxe. Après avoir cité la
parole du Seigneur, le prédicateur qui
s’énonce correctement, ajoutera : «Nous
tenons cette parole de Celui à qui, selon son dire, tout
pouvoir aux cieux et sur la terre a été
conféré. Examine bien, mon cher auditeur, si tu
veux obéir à cette autorité, embrasser
la parole et y croire. Mais pour l’amour de Dieu, ne vas
point embrasser la parole parce qu’elle est spirituelle et
merveilleusement belle, car c’est le fait d’un
impie, de vouloir critiquer Dieu.» Or, dès
qu’on fait valoir l’élément
de l’autorité spécifiquement
paradoxale, toutes les proportions ont dérogé
qualitativement ; embrasser la foi chrétienne serait alors
un crime audacieux.
Comment l’apôtre va-t-il
maintenant nous prouver
qu’il ait cette autorité ? Fournir une preuve matérielle
n’est point d’un apôtre ; il
n’a pas d’autre preuve que sa parole. Il faut que
cela soit ainsi, sinon le rapport du croyant avec lui est direct, mais
non pas paradoxal. Dans le rapport transitoire de l’homme
à l’homme en tant qu’homme on
reconnaît presque toujours l’autorité
à son pouvoir temporel. L’apôtre
n’a point d’autre preuve que sa parole et, tout au
plus l’empressement avec lequel il souffre joyeusement
à cause de cette parole. Il dira simplement : «Je
suis l’envoyé de Dieu ; agissez avec moi selon
votre guise ; quand même vous devriez me
persécuter et me passer par les verges, je n’ai
qu’une parole qui est celle-ci : Je suis
l’envoyé de Dieu, et vous serez à tout
jamais responsables de la façon dont vous agissez avec
moi.» Supposons qu’en effet
l’apôtre fût muni de pouvoir temporel,
qu’il exerçât une grande influence et
eût des relations puissantes de manière
à pouvoir l’emporter sur les opinions et les
décisions des hommes ; s’il fait valoir
son autorité ce sera au détriment de sa cause ;
car il rend alors ses efforts identiques à ceux des autres
hommes, tandis que l’apôtre tient toute son
importance de son
hétérogénité paradoxale,
son autorité divine ne souffrant aucune
altération quand même, selon le mot de Saint-Paul,
les hommes ne l’estiment guère plus que la fange
qu’ils foulent sous leurs pieds.
III. L’homme
de génie n’a qu’une
téléologie immanente : celle de
l’apôtre est paradoxale.
C’est bien de
l’apôtre plus que tout
autre homme qu’on peut dire qu’il a une
téléologie absolue. La doctrine n’est
point un problème à résoudre ; elle ne
lui fut point communiquée pour lui personnellement, mais
pour qu’il la divulguât avec autorité.
Le facteur qui vous apporte une lettre, en ignore le contenu, il
n’a qu’à vous la porter.
L’ambassadeur envoyé à une cour
étrangère, n’est point responsable du
contenu de la dépêche, il n’a
qu’à la livrer fidèlement ; de
même l’apôtre n’a
qu’à vaquer à sa charge.
L’apôtre ne fut-il jamais
persécuté, il fait pourtant
l’immolation de sa vie «en restant pauvre tandis
qu’il enrichit les autres». Il en est de lui, au
figuré, comme de la bonne ménagère qui
assouvit à peine sa faim pour faire la cuisine à
toutes ces bouches affamées. Dût-il vivre
longtemps, sa vie se passera toujours de même, les nouveaux
auditeurs étant là, à qui il doit
prêcher la doctrine. Bien qu’une
révélation soit un fait paradoxal
dépassant l’intelligence humaine, on
conçoit pourtant qu’un homme soit
appelé par une révélation à
divulguer la parole du Seigneur, et que l’envoyé
de Dieu agisse et souffre sans trêve et
jusqu’à la fin de sa vie. Mais qu’un
homme soit appelé par une révélation
à ne produire que des œuvres
littéraires, à faire l’homme
d’esprit par moment et puis devenir
l’éditeur de ces doutes d’un bel-esprit,
cela touche de bien près au blasphème.
Pour l’homme de génie il en
est tout autrement. Le
génie n’a qu’une
téléologie immanente, il se développe
par lui-même, le développement du soi se
manifestant par son activité. Le génie aura alors
sa valeur, et sera peut-être d’une haute
portée, toutefois sans se poser
téléologiquement par rapport à
l’humanité. L’homme de génie
vit en lui-même ; il peut vivre ainsi en humoriste content de
lui même, sans trop présumer de soi, pourvu
qu’il travaille sérieusement à se
former l’esprit selon les inspirations de son
génie. Ne dites point que le génie reste alors
inactif ; il achève peut-être en lui plus de
besogne que ne le feraient dix hommes d’affaires, sans
pourtant qu’aucune de ses opérations ait son
te/loj
en dehors du
génie. Voilà pourquoi le génie est
à la fois humain et orgueilleux. Humain, en ce
qu’il ne se rapporte téléologiquement
à aucun autre homme, ne présumant point
qu’on ait besoin de lui ; orgueilleux, en ce qu’il
se rapporte immanemment à lui-même. Le modeste
rossignol n’exige point qu’on
l’écoute ; il a pourtant assez d’orgueil
pour ignorer si on l’écoute ou non. La dialectique
du génie est une pierre d’achoppement, de nos
jours surtout, où la foule, le public, ou un être
abstrait analogue, tendent à tout bouleverser. Un
très-honoré public, la foule autoritaire
demandent que l’homme de génie mette en
évidence qu’il existe pour eux ; ils
n’envisagent la dialectique du génie que
d’un seul point de vue ; se heurtant à la
fierté, ils n’en voient point
l’humilité ni la modestie. De même le
très-honoré public et la foule autoritaire se
scandaliseront de l’existence de
l’apôtre. Bien que la mission de celui-ci soit
exclusivement à l’intention des autres hommes, ce
n’est pourtant ni la foule, ni les hommes ou le
très-honoré public, pas même le
très-honoré et
très-éclairé public, qui est son
maître ou ses maîtres. Son
maître c’est Dieu, et de par son
autorité
divine l’apôtre commande et
à la foule et au public. Le contentement de soi,
humoristique, de l’homme de génie provient de la
modestie résignée et la conscience de se savoir
supérieur à tous les autres hommes,
étant à la fois un objet de luxe et un ornement
précieux. L’homme de génie artiste,
produit son chef-d’œuvre, sans que pourtant ni lui
ni son œuvre n’aient leur
te/loj
en dehors
d’eux-mêmes. Ou bien, s’il est auteur, il
supprime tout rapport téléologique avec ses
entours et se pose en humoriste comme poète lyrique.
À coup sûr, le lyrique n’a point de
te/loj
en dehors de lui, et,
que le poète écrive une page ou des volumes de
poésies lyriques, peu importe pour la tendance de ses
efforts. Le poète lyrique ne se soucie que de son
œuvre ; en la créant il se réjouit bien
que l’enfantement soit souvent douloureux et laborieux. Mais
il ne se rapporte point aux autres hommes ; il
n’écrit point pour les instruire, ni pour les
aider, ni pour faire réussir ses idées ; bref, il
n’a point de te/loj
; et il en est de même de tous les hommes de
génie. Le te/loj
de
l’apôtre est le paradoxe absolu.