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LA THEOLOGIE ETERNELLE

made with Nvu

Mélissa, Elowan, Timéo


 Si donc un homme cherchait à présenter le christianisme
dans sa vérité, à l'instant on entendrait crier : il nous trahit. 
Søren Kierkegaard, Jugez vous-mêmes.


 AVANT-PROPOS


  Une œuvre en vue du salut peut nous conduire en ce lieu où la vérité, loin de se dérober à nos sentiments, se laisse accueillir, aimer et comprendre. Une telle œuvre tire cette espérance d'un fondement, d'une existence, propre à l'auteur, d'un fond qui veut être purement religieux. Or, à coup sûr, une œuvre autorisée par l'amour de Dieu discernera une nouvelle Eglise, une Eglise vraie, un tabernacle où l'homme et Dieu se reposent enfin.

  Puiser le souci des âmes de sa foi et vouloir agir, voilà ce que j'appelle une gageure, surtout chez celui qui vivant au milieu d'un monde infernal et bruyant doit faire et composer avec ce vacarme moderne ; la taille du défi laisse facilement deviner les difficultés à venir ! Pourtant je veux écrire à mon tour et contribuer à la peine que tant d'autres se sont donnée, et se donnent encore aujourd'hui. Un message de rupture, certes, souvent rigoureux, mais qui veut encore nous inviter à ce nouveau rassemblement. Une voix loin de nos institutions, une voix de plus pour l'Eglise de Jésus-Christ, celle qui témoignant au milieu des hommes, souffre et sera consolée.

 Aussi, je laisse ces pensées diverses, et très brèves, au profit de tous ceux qui se donneront du temps pour quelques pages. Je précise seulement qu'il ne faut pas s'attendre ici à un livre soigné dans le genre chapitres, paragraphes, titres et sous-titres, on n'y trouvera que des propos et des mots jetés sur le papier selon le fil des pages d'un journal personnel, j'aimerais dire spirituel, que je tiens depuis plusieurs années déjà. C'est avec beaucoup d'enthousiasme mais aussi d'attention que je l'ai fait, car si le religieux a cette faculté exaltante que nous lui connaissons, il contient néanmoins suffisamment de pudeur et d'intimité pour mettre un frein à nos élans. J'espère enfin que ce petit livre saura toucher le plus grand nombre, et qu'il atteindra la cible que je me suis proposé, à savoir : parler franc et vrai, sans contour ni détour, de ce qui se joue et de ce qui se vit, aujourd'hui surtout, dans le christianisme, afin de souligner ce qui demeure essentiel dans l'existence d'un croyant.

 Philippe Moga, le jeudi 11 septembre 2003


 INTRODUCTION


 La religion chrétienne s'est si bien écartée de ses commencements qu'elle semble nous annoncer un Christ inconnu, elle présente un Christ loin de sa croix où le sacrifice fait le passage et un moment de l'histoire, un accessoire qui s'avance pour disparaître enfin. Nous pouvons dire que c'est un Christ théologique, ce qui annonce un homme désincarné. Aujourd'hui les chrétiens regardent un Dieu artiste, un Dieu qui se saisit du masque de l'acteur pour jouer sa tragédie, et la prédication chrétienne se poursuit avec tant de sérieux qu'une critique achevée de la théologie dans le christianisme serait la bienvenue.

 Un renoncement fut suffisant et assez grand pour se contenter du seul témoignage de ses enfants, il fut même parfait puisque le Christ ne laissa rien de sa propre main. Il n'a rien écrit et ce qu'il a dit aurait pu encore tomber dans l'oubli. Dieu s'est fait homme à ce point qu'il livra sa chair à notre mémoire, il fut véritablement homme, et selon l'essence humaine il pénétra notre histoire pour en sortir d'une façon qui fait la communauté des hommes.

 C'est pourquoi celui qui habille cette mémoire d'une fiction ne fait que prêter une éthique, selon sa présence, aux témoignages très saints et au Dieu vivant. C'est l'éternité qui habillerait les souvenirs de sa vérité, mais l'Eternel ne l'a pas voulu, il s'est fait chair... et cette chair s'est passée de telles compositions. A moins de voir dans nos œuvres, contemporaines par exemple, des prophéties, mais comme à l'envers, c'est-à-dire dans l'autre sens du temps. Une prophétie qui discernerait le passé ! Mais les prophètes ne marchent pas à reculons, ils ne se retournent jamais et par leurs témoignages Dieu s'est livré à nos mémoires, il ne laissa pas de composition que celle des Ecritures.

 Il n'y a pas de musique ni de tragédie pour le raconter, aucune sculpture pas une peinture pour en faire un portrait. L'encre fut le seul témoin, et lorsque sans détails il faut se passer d'imagination son art paraît le plus sobre et le plus maigre à la fois, mais pour connaître la vérité cela nous suffira. Aussi la lettre des témoins pouvait-elle nous accuser et le faire pour l'éternité. Mais Jésus-Christ est ressuscité ! Et il ressuscita d'entre les morts ! Alors Dieu nous parla à nouveau, et il le fit avec l'effet de sa Présence, ce qui s'entend d'une façon vivante.

 A partir du renoncement nous pouvons commencer...


LIVRE I


 Jésus-Christ

 " Puis il dit à tous : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge chaque jour de sa croix, et qu'il me suive 1. " C'est pourquoi, si tu crois en lui, renonce à toi-même, renonce à ton bien, renonce à ton mal, renonce à ta vie ! Car dans le cas de la foi tes valeurs et tes lois ne sont rien. Si tu renonces Dieu se posera lui-même!

  " Connais-toi toi-même "

  Le père des sceptiques n'a jamais lâché prise, il avait confiance en cette méthode, malgré un doute affreux il espérait encore et encore. Trop de science le faisait douter, plonger en lui-même pour finalement se suspendre à son art, à ce dernier espoir. L'ironie et sa maïeutique faisaient toutes ensemble l'économie d'une science vague qui jamais ne se précise ; Socrate se cherchait loin des dieux, mais il finit par se trouver en lui-même, dans cette science qui fait place à l'ignorance et à la leçon tout à la fois.

 La soif d'apprendre n'a pas de fin, le chercheur n'est jamais rassasié. C'est que la connaissance de soi, de cette intimité qui entre le bien et le mal est toujours en devenir, se trouve être la plus éloignée de l'éternité qui toujours présente nous invite à un renoncement vrai pour accueillir le miracle de sa Présence.

 Une place pour un Dieu aimant et qui m'aime afin de m'aimer pour aimer, voilà ce dont j'ai besoin ! Pour croire il me faut renoncer, mais renoncer et croire sont une seule et même chose ! C'est pourquoi celui qui croit renonce, et celui qui renonce croit. Aussi, j'opposerai Jésus et Socrate, l'arbre de vie et l'arbre de la science, parce que Socrate place la connaissance là où le Christ parle du renoncement.

  Milieu

 Entre la Parole et l'exégèse il y a comme un catéchisme ...

 Des faussaires

 J'ai fait table rase des superstitions, des doctrines, des catéchismes et autres commentaires qui habillent depuis trop longtemps les Paroles saintes. Il y a trop de champions, de trafiquants, les marchands sont dans le Temple. Je veux entendre les Paroles de Jésus le charpentier, je veux une Parole nue pour une foi simple et parfaite. Je chercherai Dieu pour lui-même, et non pour ses dons et merveilles, ses qualités et autres attributions. Je préfère une rencontre vivante à une étude incertaine. Pourquoi me promener loin du Dieu qui vit ici et maintenant ? Pourquoi me mettre à l'école des prodiges, qui n'en seront plus à force d'études et de temps ?

  Question

 Pourquoi nourrir l'espoir de rencontrer Jésus-Christ dans le christianisme ? L'église est en ruine, et le temps est venu de célébrer un culte en esprit et en vérité2; le temps est venu pour nous d'être regardés comme les pires hommes qui soient, par tous ces brigands, ces faux frères de notre entourage. Ce n'est pas Dieu mais l'église qui nous jette dehors ! Aussi resterons-nous à la marge, avec le souvenir douloureux d'un idéal pris en vain par des prêtres, des pasteurs, des paroissiens... Souvenir propre à nous rapprocher de Dieu, et à lui offrir nos larmes et louanges. Pourtant, et pour rendre quelques hommes attentifs à la vraie religion, il y aurait un moindre mal à faire résonner une voix tout extérieure aux tribunes d'un théâtre chrétien. Je déteste les querelles intestines, pour nous l'Eglise est ailleurs, dans nos cœurs.

  Du mal

 Se renier, se convertir, se repentir, restent choses aisées lorsqu'il te suffit de rentrer en toi-même, et de mettre ton doigt sur le mal choisi. En effet cela fait de toi un chrétien du dimanche qui, écoutant et savourant le sermon du jour, indexe ce qui lui plaît à l'extérieur comme à l'intérieur. Tu t'arranges avec Dieu, tu trafiques et tu t'imposes ! Mais Dieu viendra comme un voleur, il verra ton bien, cette âme si précieuse à tes yeux. Renoncer à ce mal ne fera jamais de toi un chrétien ! Comprends que pour cela ton bien aussi il faudrait le renier, car ce bien et ce mal composent ton mal suprême.

  Le seul Modèle

  La croix nous montre le lieu où se trouve la véritable Eglise, elle est son seul modèle: ce que Jésus-Christ fit sur la croix, l'homme peut le faire à son tour, il doit se renier, il renoncera à être un dieu. Jésus, sur la croix, se renonça lui-même, il se sépara de Dieu, de sa propre divinité. A cause d'un Amour désespéré l'homme-Dieu devint un homme seulement, au ciel il préféra l'enfer ; sur cette croix tu trouveras un homme sans Dieu, une âme solitaire, or c'est la croix qui nous montre son âme.

 L'Amour infini et insensé d'un seul homme, Jésus, nous réconcilie avec le ciel, Dieu nous pardonne enfin. Christ est ressuscité, nous sommes sauvés ! Oui, mais il sauve des hommes, pas des dieux ! Jésus image de notre vie, de notre séparation, de notre désespoir, mais aussi et surtout de notre réconciliation, image du pécheur, mais surtout du chrétien. Dieu nous a créés à son image, et son Christ s'est fait à notre image. Il n'a jamais péché, jamais fraudé, on nous dira alors qu'il ne peut se comprendre sous l'image d'une repentance ! Jésus-Christ n'est pas un pénitent, mais pourtant il renonce à être Dieu, en quelque sorte il se repent d'être Dieu, il fait pénitence de sa divinité, divinité qui se taira à la croix. Depuis son incarnation jusqu'à la croix, l'homme-Dieu, Jésus-christ, fait à l'inverse des hommes, qui eux veulent devenir des dieux. Jésus-Christ réalise le devenir homme jusqu'à sa propre perte, la mort éternelle, si le Père des cieux ne le secourt, et nous avec lui. Que l'église se souvienne donc du devenir chrétien !

 Poussière d'homme

 Christ se sépara de Dieu non pour devenir un dieu, ce qui relèverait de l'ambition ou de la gloire, mais pour devenir un homme, comme une poussière...

 Dieu est mort sur la croix : voilà où finit l'Amour du Christ ! Sur la croix, Jésus-Christ, l'homme-Dieu, n'est Dieu pour personne, il ne l'est pas davantage pour lui-même. Aussi ne reste-t-il qu'un homme seul, un Amour abandonné de Dieu et des dieux.

 Le voyage d'Hénoc

 Hénoc marcha avec Dieu ! A nos yeux le parcours de cet homme de foi reste un pur mystère, de sa vie nous ne savons pour ainsi dire presque rien : une prophétie, qu'il vécut dans la foi et que Dieu l'enleva 3. Mais ce rien ne serait-il pas l'essentiel ? L'histoire fut trop courte, et le problème fut justement de réduire l'essentiel à de l'histoire, et cela afin de détourner nos regards de la Vérité, de croire des poètes et autres artistes plutôt que Dieu. Aussi, pour satisfaire nos intelligences en mal de livres, quelques hommes d'autrefois en ont écrits, afin de nous conter l'histoire qui nous ferait comprendre la foi d'Hénoc. Car au-dessus de la lettre une science s'ajoute pour l'éternité...

  Parodie chrétienne

 L'acteur n'est pas Dieu, il ne fait pas de miracles ; l'acteur n'est pas un martyr, il n'est pas mort sur une croix ; l'acteur ne connaît pas les souffrances du Christ, il ne s'est pas renoncé pour les vivre. L'acteur est un menteur, et, dans ce sens, l'art dramatique religieux un blasphème, une fiction inutile. L'artiste sera salué, récompensé puis célébré, et ce faisant il fera l'économie de la mort et d'un renoncement vrai ! L'art religieux est une sorte de gnose, rien de plus, rien de moins; une foi factice et arrangée n'est plus la foi, pour cet art ridicule et insensé des hommes se jouent du christianisme, et du même coup renoncent à la foi.

  Lettre posthume d'un artiste chrétien

 Quelle misère de le savoir, quelle misère de savoir que samedi soir, une fois encore, nous serons acclamés, alors que le Maître, l'homme de peu, n'aimait pas tant l'être, lui qui fut crucifié ! C'est terrible, extrêmement terrible, de savoir aussi que le Maître voulait, et ce fut là son seul désir, qu'on le suivît sur le chemin du Calvaire ! Pourtant, grâce au progrès, et parce que nous aimons jouir, tout en portant le sentiment très profond de s'être exposé ainsi, nous irons, samedi soir, nous faire saluer par une foule nombreuse.

 Misère d'un théâtre chrétien dans lequel je suis le plus malheureux ...Etre une victime, ne peut être profitable, sauf, aux yeux de l'éternité. Il n'a pas de gloire, mais pourtant un cœur, un cœur de chair, mais un cœur fidèle. Mon entourage préférant les hauteurs, ne mit pas ses yeux au bon endroit. La croix fut oubliée, et l'homme abandonné.

 P. Bertrand

  Au sujet des doctrines

 Le Credo par manque de foi, la doctrine par manque de foi, la tradition par manque de foi : la pensée est pour le milieu, par elle les hommes se mesurent à Dieu. Le malheur de ce christianisme est qu'il se rapporte à Dieu de façon indirecte, que ce soit le prêtre, le sermon, un spectacle ou la foule, il se sert d'un milieu pour mieux se passer de la foi. Or la doctrine est devenue la pire chose qui soit, la doctrine explique tout sans rien expliquer du tout, la foi attend et perd son temps, pour finir la foi se tait. Nous avons besoin d'une doctrine vivante, et non d'une lettre morte, d'une connaissance vivante pour une rencontre vraie ; aussi est-il clair que l'Ecriture ne suffit pas à faire d'un homme un chrétien si le Dieu vivant, aujourd'hui et maintenant, éternellement présent, ne se répète pas dans ce même homme intérieur.

 Considérons l'exemple trinitaire : cette doctrine n'a jamais rapproché personne de Dieu autrement que par la pensée, et encore même après la pensée elle reste insaisissable, de toute manière vouloir l'exposer c'est avoir préalablement douté, aussi pour ce qui est de l'existence elle nous éloigne du Dieu vivant. Pour parler d'Amour il faut que l'homme existe et vive dans la foi, c'est à cet endroit seulement que Dieu nous enseignera, Il se rencontrera et se racontera dans l'homme intérieur.

  Présence

 Il est nécessaire de croire que Dieu dépasse l'histoire, que sa présence transcende le temps, pour comprendre que Dieu veut s'impliquer dans nos vies aujourd'hui et encore demain, en effet sa Présence et son Esprit-Saint sont pour " l'ici et le maintenant ". Aussi faudra-t-il prêcher au monde entier que le canon loin d'être achevé, et cela fait presque deux mille ans qu'on le croit, se construit et s'édifie encore aujourd'hui.

  Genèse de la théologie chrétienne

 Pour que cessèrent les persécutions des premiers siècles, persécutions à l'encontre des chrétiens évidemment, il fallait que la pensée fût intéressée, et qu'elle le fût au plus haut point. Il fallait que la nouvelle religion fût élevée rationnellement, et pour ce faire la Parole de Dieu devait se transformer en parole sur Dieu, la prophétie devait faire place à la doctrine, et le croyant à l'élève, ainsi le prophète devenait un théologien, et Jésus un brillant professeur. Unifier, interpréter, faire venir Dieu à soi, pour faire de ses Paroles un jeu éthique, un jeu de logique, jusqu'à faire de l'Evangile un concept, sous lequel on range ce qui nous passionne et ce qui nous grandit, toute cette science les premiers apologistes nous l'ont présentée puis rabâchée.

 Aujourd'hui la science chrétienne est tellement grosse de vanité et d'imbécillité qu'il semble impossible, pour tout homme qui s'intéresse sérieusement au problème causé par le mal théologique, de mesurer la distance, infinie à vrai dire, qui sépare le christianisme des Evangiles de celui des Pères jusqu'à nous. C'est pourquoi il convient à cet endroit de s'opposer à toute pensée qui verrait un progrès du christianisme ou bien encore l'action de Dieu, or il est absurde de vouloir s'entêter à lier deux mondes si différents qu'ils n'ont jamais connu la moindre communauté, mise à part celle du nom et des mots. D'un côté nous avons les Evangiles qui nous accusent en vue du renoncement et de la repentance, pour faire de nous des enfants, d'un autre côté nous trouvons des hommes qui cherchent à nous intéresser avec des discours, des débats, des catéchismes et des preuves plus ou moins vraisemblables, tout cela afin de nous diviniser et de nous rendre semblables à Dieu. A cause des théologiens l'intelligence du monde fut piégée pour y trouver, ou pour qu'on y trouve, une institution, au lieu d'être accusée pour retrouver sa liberté.

  Progression esthétique, éthique et religieuse

 D'un point de vue scientifique une progression esthétique prise pour elle-même, sans origine et sans but éthique, ce qui bien sûr n'est concevable qu'en dehors d'une existence et même contre cette existence, n'aurait pas d'importance, en quelque sorte elle ne ferait que passer. Mais comme l'esthétique se trouve être, chez l'homme, sous l'empire d'une éthique et faire nœud avec elle, et que ce qui concerne le vivant est de la plus haute importance, nous combattrons toute prétention éthique ou esthétique à la fois qui chercherait à progresser jusqu'au religieux. Ce qui importe pour l'homme-éthique c'est de conclure à son propre monde, d'en imposer, puis d'établir son règne sur autrui, ce qui importe pour le croyant c'est de renoncer à son bien, à son mal, de s'anéantir devant la présence de Dieu, de lui faire toute la place afin de devenir un homme intérieur, un fils de Dieu en vertu de son propre Fils.

  Logique salutaire

 A entendre parler tous ces théologiens, on a souvent le sentiment que Dieu s'adresse aux hommes par le seul moyen des Ecritures, des sermons, des catéchismes, etc., c'est pourquoi il n'est pas inutile de parler de ce qui, dans le christianisme, peut devenir une difficulté fantastique :

 Je lis la Bible donc je suis chrétien, je rédige mon sermon donc je suis chrétien, je vais à l'Eglise donc je suis chrétien, de même parce que je chante un cantique ou une chanson; mais non, tout cela n'est que poudre aux yeux, et justement parce que c'est par le seul moyen du renoncement que l'on devient chrétien ! Toutes ces supercheries que nous venons d'énumérer résument assez bien la situation d'un homme, qui sous l'empire de sa raison, est devenu chrétien. Or voici ce qu'il faut dire selon l'exigence propre au renoncement : la connaissance vivante de Dieu n'ayant rien à faire d'une connaissance objective de la lettre, connaissance qui renvoie sans cesse à son étude, les Ecritures sont un témoignage en vue de ce qui nous accuse pour la possibilité de la foi. Ce témoignage vise la repentance du pécheur, rien à voir alors d'avec cette fantaisie qui veut qu'un homme, sous l'empire d'une raison concevant sa non-vérité, se repente et devienne chrétien, ou pour le dire autrement d'avec une foi raisonnable. Parce que justement les Ecritures accusent ta raison, et la mettent à l'épreuve, il faut que devant Dieu toute éthique se taise, disparaisse et soit abolie, en quelque sorte, et pour plaire à Dieu, il faut se repentir du raisonnable.

 Les Ecritures s'adressent à ta volonté : " Tu veux ou tu ne veux pas ", c'est-à-dire : " Oui, oui ; non, non ", ce qui n'a rien à faire d'un : " Tu sais ou tu ne sais pas. " Aucune certitude de la vérité, certitude vivante, cela va de soi, n'est possible avant de la vouloir, et cette volonté, d'accord avec Dieu, lui dit : " Je suis un pécheur, c'est vrai ! " On le voit, la repentance, la contrition et la croyance, sont déterminées par la liberté, cette liberté qui engage la responsabilité de l'homme vis-à-vis de Dieu. Aussi pour être d'accord avec l'Eternité toujours présente, nous devons taire une fois pour toutes cette raison qui cherche à nous perdre dans les contradictions du genre : le bien, le mal ; l'enfer et le paradis ; ceci, cela ; etc. Le raisonnable s'habille à son goût, et se fourvoie dans une logique qui se moque de Dieu ; la raison, l'éthique, font un seul côté du choix, et s'opposent à l'autre côté que regarde l'invitation. Dieu qui a l'initiative de sa présence, qui suite au renoncement ne se refuse pas au pénitent, voilà ce que font sa grâce et sa charité !

  De la Réforme protestante

 Le protestant, qui se connaît en tant que protestant, voudra nous couvrir de fers. Il anéantit notre liberté, et par là même notre responsabilité face à la félicité, et pour le faire il subordonne la foi à une intelligente raison, sa foi est déterminée par ce qui est compris, elle est définie par une doctrine. La Réforme n'a pas vu, en ce qui concerne les œuvres, que le renoncement est une œuvre vivante de l'homme contre lui-même, une déconstruction éthique, une raison qui fait place au désespoir, un désespoir qui se vide de raison. La Réforme a donc détruit la liberté et sa possibilité qui regardent le salut de tout homme qui vient au monde.

 Le protestant veut un avenir tout écrit, il refuse une possibilité qui serait le propre de Dieu et des hommes. Il n'y a pas d'école des possibles chez les réformés, il n'y a pas de liberté, mais des hommes intelligents, d'heureux savants sauvés en vertu d'une doctrine bien comprise et d'un catéchisme bien assimilé.

 Les leçons de Calvin

 C'est Luther qui donna à Calvin le fil du destin, et encore j'oublie Augustin. Aussi Jean Calvin procède selon les techniques et méthodes des premiers Pères, il pratique la théologie du "jusqu'à un certain point ". Après avoir exposé son interprétation des Ecritures en une multitude de leçons, il pose le mystère divin en ceci que c'est toujours le bon vouloir de Dieu d'agir de telle ou telle manière, et poser le mystère ainsi lui semble logique et naturel. Le mystère suit la théologie, la connaissance définit ses bornes pour la foi, enfin cette belle théologie nous damne la plupart des hommes pour l'éternité depuis une éternité.

 Pour ma part l'influence de sa pensée me força à lire un peu de son œuvre 4, l'Institution me donna la nausée. Comment peut-on se rendre complice de cette prédestination qui court partout et toujours ? La célèbre doctrine court déjà sur toutes les pages de son livre. Dans son ensemble l'Institution ressemble à un vaste catéchisme qui se fonde sur l'Ecriture, le genre apologétique, Martin Luther et saint Augustin. Les Ecritures ne suffisant pas à nous convaincre, vu le silence occulte qu'elles gardent sur la doctrine, il fut donc avantageux d'appeler Augustin et les autres pour forger un système théologique voire philosophique superbe et cohérent. En résumé l'Institution trouve ses jointures dans la prescience et l'élection divine selon les savants d'autrefois, ce qui est à proprement parler de construire sur du sable.

  Vérité

 Ce qui compte c'est le premier mouvement, le premier pas : tu renonces à toi-même, tu le veux ! alors c'est fait, Dieu s'occupe du reste, car à partir de là, de cet instant de volonté, toute une vie se trouve conditionnée par la foi et la présence de Dieu. Mais cet instant loin d'être dérisoire est de la plus haute importance, l'instant prend une signification décisive lorsque l'homme désespère tout à fait de lui-même. Qu'il renonce à sa vie, qu'il renonce à être un dieu, et c'est à partir de là précisément que le seul vrai Dieu se manifestera. L'Esprit-Saint en sera témoin, si bien que pour toi cette pensée sera certaine : " Je suis une non-vérité mais Dieu est ma Vérité ! "

 Croyance et immanence

 L'homme ne peut être un croyant vis-à-vis de lui-même. La raison-éthique immanente à tout homme détermine chaque homme à se connaître lui-même pour lui-même, c'est pourquoi la croyance comme condition de l'intelligence demande de poser un autre que soi, en dehors de soi, et par là même contre soi.

  Socrate et ses enfants

 Pour Socrate et le socratisme, le sage peut trouver, en lui-même, un point fixe et immuable par rapport à une rupture ou à son devenir. Il s'agit de connaître sa part de divinité 5, et c'est dans ce sens que pour Socrate la vérité se trouve toujours dans l'homme. Les enfants du premier philosophe poursuivront la même pensée : Platon et sa dialectique, Philon d'Alexandrie, Plotin et les Pères de l'Eglise, jusqu'à nos sages modernes qui ne cessent de nous présenter l'homme comme étant une sorte de dieu, ou comme pouvant le devenir. Tous nous invitent à cette connaissance de nous-même, afin de découvrir le dieu que nous cachons tous ; mais en voilà assez pour la première philosophie, car même sans le dire il est évident que nous sommes comme des dieux, et c'est justement pour cela que le renoncement nous est commandé ! Jésus a raison contre Socrate, car l'homme doit renoncer à sa vérité pour accueillir l'Unique Vérité.

  Ignace 6, Clément 7, Polycarpe 8

 Chez ces Pères apostoliques nous trouvons encore le vrai parfum des Evangiles, une authentique imitation de Jésus-Christ, mais de ces saints hommes aux apologistes il y a comme un fossé qu'il fallait oser creuser. Franchir l'obstacle ne sera plus un problème pour le renonçant, la foi franchit aisément les vaines subtilités et les faux témoignages apportés par tous les siècles qui nous précèdent, et parce que l'humilité précède la gloire il est bon que les hommes de foi restent cachés aux yeux des docteurs et autres pharisiens. Tout cet étalage de théologie depuis les temps anciens ne vaut rien, et ne fait que de l'ombre à celui qui vit par la foi. C'est pourquoi nous pouvons affirmer que la véritable Eglise, depuis nos Pères apostoliques, se trouve dans l'assemblée qui se cache dans le désert du monde, et cela parce que le véritable désert se trouve, de nos jours, dans ces églises filles de la théologie.

  De l'infaillibilité

 Les saints-pères marcheraient à la suite des apôtres, ou mieux encore de Jésus-Christ? Mais non, en fait ils visitent la planète, font du tourisme, une promenade, etc. ! Toute la différence est posée par l'existence, et celui à qui elle regarde. Au terme de ses voyages Paul fut décapité, quant à Jésus il fut crucifié. Le saint-père est acclamé, et même, ce qui tient du blasphème, il est vénéré comme adoré. En fait il se regarde lui-même, il est ce dieu dont nous ont parlé les philosophes et auquel Jésus, justement, nous demande de renoncer.

  Luc 17 : 21

 " Le royaume de Dieu est au-dedans de vous ", et Jésus s'adressa ainsi aux pharisiens avant de s'entretenir avec ses disciples. La traduction veut, à cause du contexte, que ce soit au-dedans et non au milieu de nous que l'on trouve ce royaume. En effet le royaume de Dieu n'est ni ici, ni là. Aussi l'homme de la foi invitera son Dieu à prendre possession d'un royaume, et d'un temple, dans son homme intérieur.

 Il faut dire encore selon une antique philosophie qui est aussi première et qui de ce fait réapparaît régulièrement au fil des siècles, que ce royaume et ce ciel intérieur, selon un Plotin par exemple, sont préalablement habités par l'Un-Bien, par la divinité, et que ce faisant l'homme intérieur sous-entend déjà le religieux, alors que pour nous ce royaume et ce ciel sont des déserts qui ont soif de Dieu. La différence n'est pas dans le regard puisque les deux regards se tournent vers l'intérieur, mais le désaccord se rapporte à la nature du royaume, car le philosophe-théologien a conjecturé le religieux en avançant les raisons éthiques qui reposent sur son immanence. Disons pour conclure que ces philosophes ont eu le bon regard selon la direction, bien qu'ils aient erré en ce qui concerne leur propre nature.

  La raison de Socrate

 Socrate ne désespérant pas assez de lui-même économisa sa raison et en trouva une nouvelle, de cette façon pouvait naître la première philosophie. Ne pouvant se frayer un passage par-delà ce monde grâce à une foi vivante et vivifiante, il ouvrit un chemin lui-même au moyen d'une science toute personnelle, qui venait d'une connaissance immanente à chaque homme, et c'est à cet endroit précisément que Socrate mit au monde la première philosophie, religieuse aussi. Socrate venait de construire une logique de la mort en vue de l'au-delà, enfin le plus sage d'entre tous les hommes savait se sauver lui-même 9.

 A la suite de ce théologien les autres pouvaient venir et construire à leur tour sur le sable de la connaissance, et c'est le jour où cette science prit la forme de la Vérité que nous fut révélée la foi théologique, la foi qui se pense, et que du même coup nous fut cachée l'Eglise de Jésus-Christ.

 Le penseur évangélique

 Du haut de l'Institution Francis Schaeffer 10 examinait les philosophes. C'est de la Réforme qu'il faut partir pour saisir le point de vue éthique du penseur religieux et protestant. A son tour il rejoint cette leçon enseignée de Justin à Calvin, pour s'arrêter à la Réforme, qui veut que malgré la catastrophique existence de l'homme sans Dieu il lui resta quelques bonnes raisons, intacts et pratiques, semences divines et raisonnables en quelque sorte, qu'il n'aurait pas tout à fait perdues et que Dieu aurait épargnées ; aussi comme Albert Camus l'évangéliste sauve notre raison en lui donnant des limites, en lui offrant un milieu dans lequel elle peut se plaire et s'exercer 11. De là il finit par affirmer que la connaissance précède la foi, que l'Ecriture, qui apporte une science de Dieu, de l'homme et de la nature, constitue un champ unifié de la connaissance selon un système complet. L'auteur célèbre tout ce que la Réforme a produit de culture, il avance des preuves et il amasse des preuves...Le saut reste sans réponse de la part de Dieu, dans la condition du saut Dieu reste silencieux puisque pour le théologien la réponse précède obligatoirement la foi. Dieu devient une sorte de professeur et c'est à nous de poser des questions à l'endroit de ce qui nous accuse, Dieu s'explique, etc., en bref l'explication divine amènerait la repentance, or dans ses trois principaux ouvrages 12 Schaeffer parle peu de repentance.

 Il faut dire encore que cette pensée pèche contre la Réforme puisqu'elle préconise une sorte de libre arbitre loin de tout déterminisme, mais peut-être faudrait-il seulement y voir une raison confuse qui cherchât à s'épargner ? Pourtant ce semblant de liberté ne change rien au fait qu'en reniant le saut et la foi qui l'accompagne le théologien abolit le paradoxe religieux, se moque du désespoir vécu, et anéantit la vraie liberté offerte à chaque homme dans le renoncement selon Jésus-Christ en vue du salut. Pour l'auteur-philosophe le christianisme est une école de pensée où l'élève pose ses questions pour s'instruire et réussir, et où le professeur lui répond en vue de son prochain examen. Le penseur " évangélique " reste un connaissant, un éthicien, auquel il convient d'opposer toute la force du renoncement.

  Du serf arbitre

 L'homme n'a pas de libre arbitre, il en est dépourvu, mais cela s'entend dans le sens qu'il ne peut aimer Dieu s'il le veut, car s'il l'aime de cette manière le sentiment se rapporte à son éthique et donc à lui-même, et c'est à cet endroit qu'il faut comprendre que ce qui donne une illusion de liberté regarde tout au contraire une vraie servitude, la liberté éthique ne pouvant sortir d'elle-même sans revenir sur elle-même.

 Le commandement d'aimer Dieu compris comme une accusation dans son impossibilité nous place devant l'irrationnel et la contradiction pratique, ou si l'on préfère devant une opposition d'existences, l'homme trouvant sa place contre Dieu et en dehors de Dieu. Mais l'ordonnance est aussi une invitation, c'est Dieu qui a l'initiative de sa présence, de se placer contre et au-dehors, c'est pourquoi celui qui désespère tout à fait de lui-même, qui s'amende et se renonce, se libère parfaitement des chaînes qui le retiennent loin de Dieu ; renoncer devient le seul acte de liberté, et cette œuvre de déconstruction, cet anéantissement devant Dieu, est possible pour chacun d'entre nous. Beaucoup de figures rendues célèbres par l'histoire n'ont rien accordé à cette puissance du repentir propre à chacun, et ce faisant ont erré tels des musulmans pour leur guerre sainte.

 Ethique

 En Jésus-Christ la présence de Dieu montre l'Amour tout en expliquant le chemin, hors de cette présence je suis seul avec ma science. Il n'a pas menti le serpent ancien lorsqu'il disait que nous serions comme des dieux selon le bien et le mal, car c'est le propre des dieux que de le connaître, qu'ils soient hommes ou démons les dieux se rapportent au bien et au mal chacun à son endroit, et c'est cette science qui les pose contre le seul vrai Dieu. L'homme étant un dieu, son but suprême est de s'ériger en modèle pour lui-même et pour autrui, au niveau de l'éthique la modestie et l'humilité ne sont que les moyens pour parvenir un jour à cette heureuse fin, même l'esclave désire un empire ; tous ne peuvent pas régner à la fois et c'est pourquoi la plupart se contenteront d'un régime moindre, chacun dans son domaine, dans sa maison, ensuite la démocratie ajustera et fixera tous les esprits, la politique est en puissance dans l'éthique, la politique c'est la religion des dieux et des démons.

 Se renoncer pour Dieu n'est pas la même chose que de se soumettre à une éthique ou encore à une Raison triomphante, l'éthique est le propre de l'homme sans Dieu et des dieux. Se renoncer signifie s'anéantir pour une vie qui vivifie, pour une existence qui veut remplir et posséder la vie d'un homme pour l'amour de celui-ci, être en la possession de Dieu voilà ce que signifie la félicité. Mais Dieu n'est pas à confondre avec l'éthique, celle-ci ne se trouve pas en Dieu, il faut comprendre que l'éthique signifie l'homme sans Dieu, la créature qui se détermine elle-même pour elle-même. En Dieu on trouvera la vie suprême mais pas l'éthique qui elle est contingente au créé, le caractère du créateur ne peut être appréhendé par une logique du bien et du mal, le bien et le mal ne peuvent se comprendre que d'un point de vue qui est situé en dehors de Dieu, et ce qui détermine toute éthique à exister c'est cette connaissance propre et immanente à chaque homme.

 A l'endroit de la raison l'existence divine se plaçant au-dehors et contre elle, Dieu perd tout intérêt existentiel vis-à-vis de l'homme, il ne pourra être approché que par un concept, son idée ; une idée qui ne correspondra jamais à une existence, mais les hommes s'en contenteront et la conjecture forgera un Dieu théologique. Ainsi pouvait être écrit ce que je traduirais de cette façon : " Voici qu'Adam est devenu comme celui qui s'est séparé de nous pour connaître le bien et le mal, et maintenant qu'il ne tende jamais la main pour prendre de l'arbre de vie, en manger et vivre éternellement 13. " C'est que l'homme préféra sa propre présence à celle de Dieu.

 Canon et destin

 Il est clair que pour ce qui est de leur prédestination Luther et Calvin s'autorisent d'Augustin. Mais pourquoi faire parler Augustin lorsqu'il y a les Ecritures ? Simplement parce qu'à l'endroit du destin les Ecritures ne suffisent pas. Et comment cela se fait-il ? C'est que l'Ecriture n'est pas prisonnière d'une logique, d'une éthique. Rien qu'à l'endroit de saint Paul on trouve des contradictions en ce qui concerne la prescience et la liberté, mais il y a une contradiction là où refusant un paradoxe nous cherchons une logique, or le croyant sans logique comprend le paradoxe, c'est pourquoi le croyant ne trouve aucune contradiction dans les Ecritures. En effet le croyant part du renoncement, il ne fait pas venir la logique du ciel, il sait qu'elle appartient à la terre. C'est une couture qui fait la logique, qui lie et assemble ces contradictions, pour édifier enfin une exégèse, un système et une science de Dieu.

 Pour une science totale et englobante il faudra attendre Augustin ; voici pourquoi, aujourd'hui encore, les théologiens et beaucoup d'hommes religieux trouvent dans les écrits du Père une garantie qui se suffit à elle-même : Augustin c'est le moment de l'histoire où la théologie fut la mieux achevée. Or pour que cet achèvement soit fondé il fallait qu'il en fût de même pour les Ecritures, il convenait de poser le canon. Théologie et canon vont ensemble et pour ce faire on jeta l'inspiration dans le passé, l'Ecriture prisonnière de l'histoire les livres pouvaient être cousus et reliés ensemble, et le canon ainsi édifié fut fixé à un moment précis, à une date décidée par le plus grand nombre des savants d'autrefois qui ne pouvaient souffrir une inspiration contemporaine. Pour passer le premier fil, il faut arrêter le canon, il faut connaître le début et la fin de l'œuvre afin de la dominer dans l'espace et dans le temps, pour la gérer à son gré selon le consensus d'une heureuse assemblée grosse de théologie. Suite à la nouvelle théologie, et pour qu'elle fût parfaite en ne manquant de rien, le destin d'Augustin pouvait venir.

  Deux assemblées

 L'église théologique est à proprement parler l'adversaire et l'ennemie de l'Eglise spirituelle. La théologie éloigne la créature de son créateur, on le voit dans ses propres termes, dans ses écrits, dans ses doctrines et autres catéchismes, cette science nous accuse mais taisant ce que nous sommes elle nous montre ce que nous ne sommes pas. Et puis il s'est fait homme ce Dieu qu'une science nous fait voir si lointain, il est devenu faiblesse sur cette terrible croix. Il s'est fait chair ce Dieu superbe, chair d'un petit enfant, puis d'un enfant, et c'est encore jeune homme qu'il fut crucifié. Ce Dieu renonçant, prisonnier de l'espace et du temps, se trouve être à mille lieues du Dieu des théologiens. Et comme tout homme parfait qui ne veut pas être aimé de ses enfants pour les seuls biens qu'il possède, de même Dieu désire par amour et pour l'amour se faire connaître à nous sans le moyen de la théologie, c'est qu'au paradis il n'y aura pas de place pour les dieux.

  De Montan 14... à nos jours

 Il y a un désespoir charismatique qui fait le charismatisme de tous les jours. Ce désespoir est signifié par la fin du canon qui suggère la mort du Paraclet, alors il ne reste plus qu'un semblant de prophétie, une inspiration moindre et peu sûr. Ce désespoir est donc motivé par un souci du Dieu vivant, et ce souci se rapporte à l'accusation et à la Parole d'un Dieu présent qui se trouve au-dehors et qui se place contre l'éthique. Il reste à l'homme charismatique de traduire son souci en œuvre vivante, en renoncement, afin d'accueillir le Dieu qui libère.

 Le plus souvent notre homme se sait accusé ! Mais un malheur fait qu'il rentre en lui-même, et cela pour construire une théologie de la présence, théologie qui se traduira en école des prodiges. L'accusation l'ayant porté à une tension spirituelle sans équivalent il se retrouve sur la brèche, soit il se rend et renonce, soit il cherche à comprendre et s'explique la présence divine, car il y a aussi une théologie du charisme. Mais voici qu'à nouveau notre homme tombe en lui-même et que sans aucune pudeur il se farde en prophète, judaïse à outrance, ridiculise la Parole de Dieu, son Verbe saint, en poussant le contresens jusqu'au langage, dansant et gesticulant à tout va. Bref, il traduit son tourment religieux en mascarade et en fantaisie ; devenu prophète il nous commande de juger, de prendre ou de laisser ses paroles selon qu'elles sont inspirées ou qu'elles ne le sont pas, car cela dépend du moment, et c'est à cet endroit, nous dévoilant l'éthique, qu'il nous montre en ce qu'il croit. Plus tard nous le verrons courir après maintes récompenses et louanges ; qu'ils aient les honneurs sur terre ceux qui ne les auront pas au ciel ! Mais il peut arriver qu'il revienne sur la brèche et qu'il entende à nouveau l'appel de Dieu : qu'il se renonce et le piège de sa présence se dérobera, pour laisser place à la seule Présence qui donne la vie et la remplit en son entier !

 Hélas ! trop souvent je l'ai vu dans une arène poser son théâtre et jouer au chrétien, exposant les prodiges divins aux yeux de tous et sans pudeur, sans intimité, sans aucune prudence. Alors le charismatique n'est qu'un semblant d'homme intérieur, qui loin d'avoir renoncé à lui-même préfère s'accorder l'importance des divers phénomènes spirituels en se donnant en spectacle au milieu de ses frères. Il préfère une foule à un individu, une prière publique à une prière plus intime, pour lui ce qui est manifeste prédispose la vie intérieure, en quelque sorte il se nourrit à son école du fabuleux qui, manquant de réalités substantielles, s'est même ralliée les dons naturels sous les noms menteurs de spirituels. Notre homme manque d'assise, il lui faut un meilleur fondement, et rejeter ce devenir disparate qui, sous les traits du merveilleux, lui cache un renoncement vrai qui veut le fixer en Jésus-Christ pour l'éternité.

 Le pasteur artiste

 Aujourd'hui nous en sommes là, tout le monde est plus ou moins artiste, et les pasteurs et autres prêtres n'échappent pas à la règle générale du nombre. Ils bâtissent des spectacles et espèrent par ce confortable détour remplir leurs églises, car si c'était pour peupler le Royaume des cieux il suffirait alors de prêcher une repentance sans artifices, puisqu'on y entre par la seule conscience du péché. Mais les gens ne voulant pas s'embarrasser d'un immédiat de souffrance, nos pasteurs s'arrangent pour plaire et médiatisent ce qui nous accuse à travers les produits artistiques. Pourtant l'art faisant l'admirateur et l'admirateur le consommateur, il y a confusion ou tromperie à vouloir les marier à l'Evangile, qui a pour seul et unique but de nous faire sentir toute notre misère afin de nous amener au salut en Jésus-Christ. Entre art et Evangile il y a une contradiction aussi prononcée qu'entre science et renoncement. Vouloir ramener la croyance par un fil conducteur, tel que celui-là soit déterminé par le beau, c'est proprement interdire le renoncement et ses tribulations.

  Un Dieu vivant

 Celui qui croit au Dieu vivant, ici et maintenant, ne peut pas être d'accord avec un Clément d'Alexandrie 15, qui décrit la vie chrétienne comme un chemin qui va de l'initiation à la perfection, de la catéchèse à la gnose. Rencontrer Dieu à ce prix laisse trop de place aux passions, aux conjectures de toutes sortes. Avec Clément l'immanence ne se tait jamais, ce genre de rencontre nous ramène toujours à l'homme. La raison qui cherche Dieu cherche à se le rendre présent, mais seul Dieu a l'initiative de sa Présence, et là où Il trouve un renonçant Il se révèle parfaitement, or pour ce faire il y va d'un instant, et celui-là refuse toute distance de Dieu à nous. Connaître Dieu c'est la même chose que de le rencontrer, et cette rencontre est un miracle. Après cela être toujours en harmonie avec l'Alexandrin, c'est vouloir conditionner la rencontre par les distances relatives à l'éthique. Mais plutôt que des savants nous avons besoin des prophètes.

 Les prophètes

 Le prophète est au principe de l'Eglise, le prophétisme construit et édifie l'Eglise sur la Parole du Christ. Au commencement était la prophétie. Les charismes instruisaient l'Eglise primitive, ce fut une explosion prophétique, mais suite à ces temps heureux nous vîmes des savants prétendre aux premières places, et pour s'y asseoir jeter l'eau sur le feu, afin d'éteindre les charismes trop brûlants et d'élever leur science en nouveau principe. Simples comme des enfants les prophètes furent toujours des renonçants, aussi ne s'occupèrent-ils jamais de théologie. Mais il fallait comprendre, les études et les écoles regardaient les premières places, toute cette émulation du paganisme visait les premiers rangs.

 Aujourd'hui encore l'heureux théologien se voit accorder maints titres et diplômes, relatifs à ses difficiles études passées dans les cercles séculiers. Et au sein de son église une école de prophètes ne tardera plus à ouvrir ses portes, et alors notre théologien enseignera la prophétie et le prophétisme aux élèves qui font son entourage! Il est tranquille, les écoles et les canons ont depuis fort longtemps fermé la bouche des croyants ! C'est la raison pour laquelle beaucoup de voix ne sont pas parvenues jusqu'à nous ! Voulant parler à la place du Logos de vérité l'église savante a fait de nous ses pauvres malheureux, mais des malheureux qui se tiennent à l'écart d'un public chrétien pour se retrouver heureux en esprit et en vérité.

 Une croix placée en dehors de l'homme intérieur ne sert de rien, elle témoigne contre lui. Une seule voix qui s'élèverait du milieu de l'assemblée pour exhorter au renoncement produirait certainement un mécontentement général. C'est qu'une croix n'intéresse pas grand monde lorsqu'elle n'est plus revue et corrigée par le nouveau principe.


LIVRE II


 Humilité

 L'humilité précède la gloire, et pour que son juste vive par la foi Dieu nous montra l'humilité. L'humilité est la maison de la foi, et celle-là demeure fidèle aux limites imposées, elle existe dans l'humilité. Mais voici qu'un jour une église en devenir réforma la foi, repoussant ses limites assez loin pour embrasser les horizons de la science, puisqu'elle sortit d'elle même, l'humilité derrière, pour connaître la totalité du pensable. C'est pourquoi, le plus souvent, la foi se pense. Transformant l'objet de la foi en concept, le théologien et l'étudiant cherchent l'unité, l'universel, c'est-à-dire l'espace sous lequel toutes choses, toutes doctrines, se rangent et trouvent une place. Ils croient aider la foi en lui donnant ainsi ce mouvement, cet élan hors d'elle même, alors qu'en le faisant ils ont aboli la foi. De la création à la révélation de saint Jean la théologie nous a transportés d'école en école, d'interprétation en interprétation, d'exégèse en exégèse, et finalement d'excès en excès, car le plus souvent et du point de vue de la pensée le théologien est un excessif. Que le théoricien religieux soit transformiste ou créationniste, qu'il soit partisan du millenium ou non, luthérien ou catholique, peu importe, notre théologien demeure dans une pensée qui a créé son monde, une pensée artiste qui veut plaire tout en nous enseignant ; le docteur religieux cache un professeur, et soit qu'il enseigne telle leçon soit qu'il en préfère une autre, cela ne change rien au fait que plusieurs maîtres professent dans une même école.

 Parce que seule une lettre morte soulève ces difficultés, il serait urgent de retrouver une Parole vivante et une lettre vivifiante ! La lettre est morte, Dieu se trouve au-dehors et contre l'homme intérieur, et dans ce sens nous pouvons affirmer que d'un point de vue subjectif Dieu est mort, par contre vous le saurez vivant lorsque petits et humbles vous entendrez sa voix dans vos voix, et sentirez sa vie dans vos vies.

  Science et religion

 La connaissance qui ramène toutes choses à la divinité exige que cette nature soit trouvée dans l'homme intérieur, et qu'elle en soit au fondement et au principe. Pour qu'une telle connaissance soit certaine et vraie il faut qu'elle soit mise en rapport avec une existence, c'est-à-dire qu'un autre existant se rapporte à sa propre existence, et de cette façon l'homme connaîtra la pensée du Dieu unique et suprême qui existe dans tout renonçant et pour tout renonçant. Or le pénitent sait qu'il a été créé pour l'amour et non pour la curiosité, et c'est déjà beaucoup que de le savoir. Vouloir tout ramener à l'Unique par la pensée et non par l'existence s'est vouloir s'ériger en modèle, ce qui est la même chose que vouloir la place de Dieu. Seule une rencontre d'existences fera une connaissance vraie, mais cette rencontre suppose la croyance et le renoncement dans l'homme intérieur.

 L'homme de foi sait que seul Dieu fait un nœud entre le ciel et la terre, et il laisse Dieu faire le reste. Mais le savant se prend pour un grand couturier, et il n'en finit pas de lacer des nœuds qui lui échappent. Placé entre deux infinités le théologien ne s'en sort pas, la logique au travail il cherche à raisonner avant de croire. Il pose ses questions jusqu'à ce que les Ecritures lui répondent, enfin il croit au Dieu qu'il s'est forgé, cette idole spirituelle, idole en vérité puisque le concept de Dieu n'est pas, et que cela n'est pas moins vrai d'une nature qui lorsqu'elle se rapporte à la pensée n'est rien de plus qu'une logique bien comprise, un monde possible, une loi probable.

 La félicité bien comprise est pour celui qui a la pensée du Christ, et les particularités du divin n'y suffisent pas. En Christ Dieu fut un individu de chair et de sang, et cela afin que ces particularités, qui sont contre nous, nous ramènent à lui par le moyen de la foi pour que Dieu vive en nous. J'ai vu des orateurs, des poètes, des musiciens, jamais de pasteurs! Mais laissons tous ces hommes saisir Dieu par la pensée et se perdre dans le milieu, laissons à ces prêtres le soin d'absoudre et d'enseigner, quant à nous continuons de saisir l'éternité avec amour, dans une foi vivante.

  Distance

 Notre pensée se trouve impuissante à nous amener l'existence de Dieu, par rapport à ce qui en est pensé Dieu n'est pas. L'existence de Dieu se manifeste dans la foi, par le renoncement du pensable. Celui qui connaît Dieu c'est celui qui l'a rencontré, si tu expliques tu mets une distance, tu te mesures à l'éternité, et ta recherche montre finalement que tu ne connais pas Dieu. Le théologien lutte avec Dieu : qu'il se repente et Dieu le bénira, qu'il gémisse et il obtiendra sa grâce, par le renoncement il sera vainqueur ! Que le oui soit oui, que le non soit non, ce qui se rajoute venant du malin, et toi justement qui viens expliquer ce petit point très particulier tu viens aussi d'en rajouter. Ce qui importe c'est de lui obéir, c'est d'obéir à l'insondable Amour qu'il nous manifeste, car c'est en cela précisément que Dieu est manifeste pour nous. Obéir c'est agir, et cette action vient de la foi qui accompagne le renoncement. L'Amour de Dieu parle de lui-même, ainsi l'homme entend Dieu, ainsi l'homme connaît Dieu. L'Amour du Dieu vivant se raconte lui-même, l'Amour n'est pas savant, aussi se passe-t-il toujours de théologie et d'études difficiles, choses qui nous éloignent, nous occupent ailleurs, pendant qu'en ce lieu précis l'Amour attend.

 Pour Dieu qui attend, pour l'homme qui désespère, la théologie est une perte de temps. Les cérémonies, les explications et les bavardages, nous font gagner un monde tout en nous en faisant perdre un autre, et ce monde perdu qui est aussi à venir est bien le meilleur des mondes. Mais l'église progresse... ; depuis les apologistes les théologiens écrivent, expliquent, et perdurent, mais pendant tout ce temps le Royaume des cieux qui est proche attend. Sans parler de l'art, de l'art qui explique tout si bien...Le nouveau théologien est artiste, mais cela aussi fait partie du progrès, et sûrement que les deux feront le missionnaire de demain ! C'est qu'ils en ont du temps à perdre, tous ces profanes, qui écoutent et questionnent gentiment!

  Le concept chrétien

 Depuis les apologistes le christianisme force la connaissance de Dieu au moyen des concepts, il en est ainsi des conciles, des catéchismes, et des doctrines, qu'elles soient trinitaires, christologiques ou autres, or toute cette connaissance reste une connaissance possible ou probable. Depuis ces temps anciens le christianisme faisant l'économie de la raison a renversé la foi en la corrigeant par la pensée, c'est pourquoi la théologie n'est qu'une science du possible. Mais l'homme a ses limites, et de ce fait il ne réalisera que les possibilités qui sont en son pouvoir, pourtant l'éthique détermine les possibles qui lui sont immanents sans pouvoir s'empêcher de juger de ceux qui lui sont transcendants. L'homme têtu aime à sortir des limites que la création lui imposa, il fut créé le sixième jour mais il voudrait encore regarder le premier, et même un avant ; il vient après Dieu et après la nature, et encore il voudrait selon lui-même forcer les existences au moyen de sa science. Du point de vue de la création l'homme a la dernière place, et à la façon d'un Nicolas Hulot nous pouvons affirmer que la nature nous transcende 16. Aussi l'homme ne fait pas le milieu, ni le théologien, il n'a pas la puissance de lier le ciel et la terre. Par rapport à la pensée la nature et Dieu ne sont que des possibilités, des probabilités.

 Il faut comprendre que Dieu se fait connaître à notre homme intérieur par sa seule présence, par son témoignage. Il faut comprendre encore qu'avoir la foi ce n'est pas la même chose que de croire à une vague possibilité qui ne se réalise point dans l'intériorité, au contraire, car dès que de ton propre mouvement tu renonces parfaitement, le Dieu vivant et présent qui venait de t'accuser fait le reste et se manifeste par son témoignage très saint. C'est que la croyance fait la même chose que la contrition, les deux vont ensemble, et c'est l'Esprit de Dieu qui se répétant accuse notre péché afin de nous délivrer, car Dieu a toujours l'initiative de sa présence ; mais préférant une fiction, une mythologie, un christianisme triomphant, beaucoup se bouchent les oreilles pour s'écouter eux-mêmes, aussi la plupart n'entendent pas ou entendent mal l'Esprit qui appelle. Au moins il est assez remarquable que plusieurs philosophes aient eu un regard très juste en ce qui concerne le sujet connaissant 17, cela laisse à réfléchir sur des hommes qui se comprennent et se connaissent dans leurs limites, certainement qu'ils n'ont rien à envier à tous ces théologiens qui se retrouvent dans l'éthique et la confusion religieuse, aussi mieux vaut-il être profane et se connaître que de se mêler de Dieu sans l'avoir rencontré.

 L'apologie de saint Paul

 Dans le livres des Actes des Apôtres 18 nous trouvons une apologie qui est des plus précieuses, et qui en peu de mots va bien au-delà des futurs écrits d'un Justin ou d'un Clément d'Alexandrie qui n'intéressent pour ainsi dire que la pensée. Mais tant que l'apôtre se risque à un peu de philosophie il échoue en ce qui a trait à l'Evangile : il expose les catégories philosophiques telles que le mouvement, l'être, les conjectures poétiques, Dieu en qualité de démiurge transcendant, mais tout à la fois immanent à sa création. Jusqu'à ce qu'il les exhorte à la repentance Paul se trouve sur le terrain des Grecs ; aussi peut-il sembler qu'il parle selon les conjectures de son temps, et que selon cette perspective il prenne parti pour un Evangile sans risque, un Evangile artiste en quelque sorte, qui serait d'accord avec un Dieu possible, un monde possible, car le propre de l'art religieux c'est de faire de la véritable religion une possibilité. L'artiste est un créateur qui mêle le vraisemblable, l'apparence, à la réalité, la fiction accompagnant la vérité. Sans aucun doute tout cela serait vrai si l'apôtre, suite à ses discours, n'en venait pas à exhorter son entourage au renoncement. Car ce qu'il faut comprendre c'est qu'il tient toutes ces conjectures pour des temps d'ignorance, et que c'est après l'avoir dit qu'il annonce enfin le devoir de se repentir à tous ceux qui l'écoutent. Il se trouve à une distance infinie de ceux qui plus tard trouveront dans nos raisons quelques semences divines à épargner, en effet pour l'apôtre la sagesse du monde n'est que folie et ignorance de Dieu.

 D'accord avec le poète, mais par ailleurs avec la vérité, il affirme que l'homme est un dieu, qu'il est de la même race, mais juste un peu plus loin il demande à ce même homme de se renoncer, et par là même de se repentir de cette immanence qui fait de lui un être divin, et il donne comme fondement à son dire l'imitation de Jésus-Christ, ce Dieu qui jugera les hommes parce qu'il fut un homme de chair et de sang que Dieu ressuscita d'entre les morts. D'un seul coup saint Paul accuse la raison qui se plaisait à ces discours, il y avait un certain plaisir à écouter ce que l'on connaissait déjà, il y avait une félicité à entendre ce qui nous sauvait auparavant, jusqu'à ce qu'elle se trouve accusée la sagesse s'expliquait la foi de l'apôtre, Dieu et son serviteur ne semblaient pas se tenir contre les sages d'Athènes, et pourtant ce Dieu qui dés lors est devenu véritablement le Dieu inconnu exhorte au renoncement philosophique, c'est-à-dire à celui de l'homme tout entier.

 L'apôtre ne laisse personne dans son monde possible, dans sa création, il veut que le profane échappe à lui-même, au piège qu'il est pour lui-même. Suite à l'exhortation il y va d'un saut, et c'est en vertu de ce saut et de ce renoncement que quelques-uns suivront Paul, et non en vertu d'un postulat philosophique, qui lui avait régalé tous les autres.

  Les apôtres

 Paul fut apôtre, et quoi qu'en pensent ceux d'aujourd'hui il ne fut jamais un théologien. Paul rencontra Dieu, il ne s'arrêta pas à des mots, car précisément les mots l'ont conduit jusqu'à la demeure du Dieu vivant. C'est au-delà des mots que l'on rencontre Dieu, pas dans les mots, et lorsque l'apôtre nous a écrit il l'a fait dans l'esprit et l'espoir que nous rencontrions Dieu à notre tour, ce Dieu qu'il trouva sur le chemin de Damas. Au contraire le théologien conçoit Dieu, et c'est dans les mots qu'il le peut, sa rencontre est un rencontre d'ordre scripturaire, il comprend l'éternité selon une école, une éthique reçue, la théologie s'arrête aux mots.

 " Au commencement était la Parole 19 " : ce n'est pas une leçon qui le dit mais une rencontre, l'apôtre Jean décrit cette rencontre dont il fut le témoin et l'intime tout à la fois, il ne fait pas non plus dans la philosophie, il ne s'embarrasse pas d'un clin d'œil aux philosophes de son temps, il nous laisse son témoignage voilà tout.

 " Je suis celui qui est 20 " : par ces mots Dieu exprime son souhait de rencontrer chacun d'entre nous dans son " ici " et dans son " maintenant ", Dieu ne laisse pas une curiosité ou une devinette aux théologiens qui viennent ni aux savants qui cherchent, mais toute son espérance qui regarde une rencontre personnelle avec tout homme qui vient au monde et qui renonce à lui-même.

 L'apôtre trouva Dieu par le renoncement qui le chercha, car seule la contrition cherche Dieu. L'Ecriture regarde l'espérance de Dieu et des saints, pour que des rencontres se poursuivent, et que la connaissance repose dans la Vérité.

 Création ou science

 Il est extraordinaire que Dieu ait ainsi privilégié notre siècle éclairé pour ce qui regarde l'interprétation de la Genèse. Pauvre Moïse qui après avoir écrit est mort sans savoir...!C'est que nous, fort heureusement, nous sommes instruits par une théologie qui nous explique tout, et qui se mêle à ce point des sciences que l'on ne sait plus très bien si notre théologien est chrétien ou bien physicien ! Il accommode si nettement les Ecritures aux nouvelles théories, que l'on pourrait encore se demander si la dernière nouveauté ainsi mariée ne devrait pas à son tour faire l'objet de notre foi ! Sans parler de ceux qui mélangent tout au point que nous annonçant la création comme une sorte d'évolution, ils pensent de cette manière et à leur façon avoir fait le nœud le plus solide qui soit, aussi sont-ils pareils à des vieillards qui, ne supportant plus d'être enseignés, se sont perdus dans les délires d'une logique confuse et mal définie car mal mariée, et qui ne cessent de débiter des âneries pensant être au bénéfice de leur grand âge.

 Il y en a assez du darwinisme et des autres catéchismes en devenir ! Adam fils de Dieu : voilà ce qu'il nous faut prêcher aux hommes d'aujourd'hui ! C'est un blasphème que d'avoir placé la bête entre les deux, d'avoir préféré l'animal au vrai médiateur. Tu es un fils de Dieu, alors ce Dieu tu le rencontres, tu le rencontres, alors tu l'aimes. Un monde entre les deux s'oppose à cette rencontre, et c'est une supercherie savante que d'avoir placé une nature, un monde, entre Dieu et ses fils. La nature comme objet mystique, voilà ce en quoi l'homme moderne a mis son espérance. Ainsi le pouvoir, la puissance, appartiennent au devenir du monde présent, de ce monde qui en son dernier mouvement crée enfin l'Etre suprême, c'est-à-dire l'homme lui-même, et cela fait il nous reste à supposer qu'ailleurs encore un devenir meilleur nous attend, puisque la théorie fait de l'homme un dieu en devenir. L'homme est un dieu, c'est vrai, et c'est pourquoi il prendra tout ce qu'on lui donnera pour se passer du repentir, de la foi et du renoncement qui va avec ; il a perdu sa place de fils pour devenir un dieu, et pire encore un dieu qui veut se passer de Dieu, et pour cela un monde possible fera l'affaire.

 Il est vrai que la nature précède l'homme, mais elle le transcende, et c'est pourquoi l'homme qui pense ne peut être un créateur, la création est déjà donnée. L'homme ne peut que transformer cette matière qu'il a sous les yeux et qui tombe sous les sens, l'homme fut créé pour servir, sa chair porte la marque de Dieu, le sceau du renoncement. Pour la science la nature a une place toute différente, elle perd sa perfection pour une immanence qui nous absorbe, si par exemple nous réduisons l'espace et le temps nous trouvons que l'homme n'est qu'au prolongement de cette nature. Il y aurait en quelque sorte une immanence naturelle et propre à l'Univers, et c'est pourquoi, dans ce sens où tout serait une nature où la pensée serait une production, je peux soutenir que l'évolution est un panthéisme à l'envers, tout se ramenant à cette nature. Aussi pour être conséquente avec elle-même, cette doctrine devrait accorder, à tout homme, le pouvoir d'interpréter la nature en son entier, et d'en donner une explication cohérente. L'homme étant une nature qui pense le concept devrait suivre à son tour cette nature de près, et se prolonger jusqu'à l'homme d'aujourd'hui, mais voici qu'il a beaucoup de retard et que les avis divergent. Nous l'avons compris le savant joue au théologien, et le théologien joue au savant, rien de plus, rien de moins, chacun a son monde.

 Qu'ils se renoncent tous ces faiseurs de doctrines, et Dieu les retrouvera ! Même à présent il s'agit de redevenir des fils...

  Ce qui vaut pour l'éternité

 Renoncer au siècle, au monde et à ses avantages, tout cela par rapport à l'éternité représente très peu de choses et trop peu, tout ce renoncement objectif est inutile, et pour le dire carrément ne vaut rien lorsqu'on néglige un renoncement subjectif, qui à lui seul fait la vraie religion et le vrai religieux. Beaucoup s'accordent pour le christianisme après avoir renoncé au monde, souvent par dégoût, parfois par malheur, mais toujours par une conversion toute rationnelle, une conversion logique qui fait un nœud entre ciel et terre, oubliant que c'est le moteur du nœud qui doit être renoncé. Un renoncement objectif n'a pas de valeur éternelle, il faut commencer par sa propre personne, ce qui veut dire renoncer à soi et non à l'autre. Il s'agit de commencer par son propre bien, par sa vie, par ce bien qui est aussi un mal, ce monde intérieur est le premier auquel il faudrait renoncer.

 Il y a comme une sorte de platonisme qui demande aux hommes de maudire le monde et la mort, mais de le faire tout en faisant aussi l'économie du monde intérieur qu'ils transportent partout avec eux. On nous demande de maudire les dieux d'ailleurs tout en conservant nos dieux intérieurs ! Il y a comme une figure philosophique qui se cache là-dessous, celle d'un Socrate qui épargnait son démon. Le philosophe faisait comme si un ciel habitait constamment nos âmes.

 Les premières places

 Mal compris le christianisme intéresse ceux qui y voient un tremplin non seulement pour le ciel, mais encore pour les premières places qui s'y trouveraient, et tout cela parce qu'ils croient que l'éternité parachèvera le devenir des dieux.

  Le rapport éternel

 On ne se rapportera pas à l'éternité d'une façon logique, et si on le faisait de cette manière on le ferait en y intéressant la pensée. C'est comme pour l'homme qui se perd en mer lorsqu'une tempête gronde et, une fois agité par le tumulte des vagues, désire échouer en n'importe quel lieu, l'essentiel pour lui étant d'avoir à présent la vie sauve. Une pensée qui trouve un intérêt à suivre telle doctrine ou tel enseignement, en vue de sa félicité, ne se renonce jamais. Cette pensée fait ses courses au lieu de croire, elle veut le ciel, mais avec la logique qui lui fait comprendre un christianisme, si elle va au ciel sa logique la suivra et l'éthique sera là. Une logique ne peut pas se rapporter au Dieu vivant, et d'abord parce que ce Dieu-là a l'initiative de sa présence, la logique au contraire cherche la discussion et par là même pèse le pour et le contre, et le faisant elle se rend Dieu présent ou plutôt elle se représente Dieu d'après son propre fond. Mais Dieu gronde afin de délivrer ceux qu'il aime, il veut rendre malheureux celui qu'il veut sauver, et il le veut afin que tout l'homme participe à sa présence. Ce Dieu est loin de vouloir s'embarrasser de réponses, il ne fait pas l'intéressant car il manifeste sa présence pour la délivrance.

 C'est en vertu de la repentance que nous sommes sauvés, et non en vertu d'un enseignement bien compris, il faut que l'enseignement produise le renoncement plutôt que l'adhésion et le ralliement, le christianisme n'a rien d'un parti pris, ou d'une politique, il ne fait pas non plus dans l'hégémonie intellectuelle. Le chrétien n'est pas celui qui pleure son péché après avoir péché, ce qui est la même chose que de pleurer une éthique dans cette divinité que nous sommes tous intérieurement, il ne nomme pas le péché, il ne le signale pas, le chrétien c'est celui qui pleure parce qu'il ne veut plus être ce pécheur, il ne veut plus voir le dieu qu'il est devenu, il ne pleure pas dans son péché, mais bien plus que cela il pleure sur son péché. Le chrétien est d'accord de dire qu'il n'est rien par rapport à l'éternité, il a renoncé à sa pensée parce que la pensée cherche à être quelque chose, le chrétien dit qu'il n'est rien, et il le dit aussi en regardant la félicité qui l'attend et qui déjà l'a reçu.

 Pensées

 Il y a trop de raisons dans le pari de Pascal 21, il faut regarder à ce que l'on y gagne, à ce que l'on y perd, il faut donc mesurer et compter, l'initiative est humaine. Dans tout cela je ne vois pas un Dieu présent ni un Dieu qui juge, je ne vois pas un seul homme qui gémisse ou qui soit malheureux. Parier et miser ainsi c'est vouloir se faire de la place, la mesure prend la place du renoncement, voilà pourquoi celui qui a parié est perdu.

  Kierkegaard contre Schaeffer

 Le protestantisme s'arrange toujours pour rapporter un réveil à un moment de son histoire, et s'il ne peut l'y retenir il laissera ce moment à l'histoire plus générale du christianisme. Kierkegaard avec son désespoir, sa croix et sa foi, donnait un goût amer, de plus l'homme qui écrivait ne laissait aucune société après lui, aucun réveil dit de masse..., mais celui du témoignage. Francis Schaeffer pouvait venir et philosopher à propos du Philosophe.

 Immobile dans ses idées, et prisonnier d'une connaissance unique car unifiée, mais d'une éthique protestante en vérité, le penseur " évangélique " négligea le christianisme des Evangiles. Dans ses ouvrages Francis Schaeffer célèbre les savants d'autrefois, ici nous voyons Copernic, là nous trouvons Galilée, ailleurs il nous présente les plus grands artistes qui, par le biais du christianisme, ont su marier la foi et la connaissance, la nature et la grâce, et bien sûr la Réforme se voit décerner le plus grand prix qui soit en ce sens qu'elle éclaira tant de siècles et d'hommes à la fois, aussi est-elle championne des arts et autres vertus. Mais une éthique ne s'élève pas sans bruits et fracas, et c'est pourquoi Schaeffer s'est fait le critique de Kierkegaard, auteur auquel du reste il n'a jamais rien compris, à ce point qu'il serait permis de se demander s'il se donnait vraiment la peine de le lire. Puis on le voit divaguer au sujet du Philosophe, il le présente comme le premier moderne, en ce sens qu'il sépara le premier encore la foi d'avec la raison. Il s'explique, trace une ligne du désespoir, pour passer à côté du grand homme que fut Kierkegaard, puisqu'il ignore un individu remarquable qui fut animé d'une piété comparable à celle d'un John Wesley 22, et d'une spiritualité tout aussi convaincante... C'est qu'à une distance infinie de Schaeffer nos deux hommes prêchaient l'imitation de Jésus-Christ !

 En devenant le critique des hommes qui prêchent le renoncement total pour la foi, Francis Schaeffer savait se passer du christianisme à l'endroit qu'il voulait, afin de sauvegarder sa première pensée, relative à bien y regarder à une connaissance du bien et du mal. Le logicien épris de théologie cherchait un Dieu logique voilà tout.

  Pierre et Judas

 On nous dira qu'il fallait un traître, et qu'il était prédestiné à livrer notre Sauveur pour que la Parole s'accomplisse...Oui, mais de là à dire qu'il fallait Judas pour l'enfer ! Le problème du théologien est qu'il ne peut s'empêcher de raisonner en termes de jugement divin, tout l'homme se trouve résorbé sous le jugement de Dieu, le principe et la fin de chaque individu y trouvent une place.

 Quelque part, on le voit, il y a une théodicée qui se cache là-dessous, mais c'est de cette manière aussi que l'on construit des systèmes, que nous enfermons notre prochain et que nous le privons de liberté. Mais aucun système ne permet un libre jugement de Dieu puisqu'aucun ne lui accorde d'être aimé librement. Pourtant, et c'est facile à comprendre, il est toujours mieux et même souhaitable d'être aimé selon la liberté, par une créature libre plutôt que par la même qui serait contrainte. Or, c'est le renoncement qui aime Dieu, et cela dès son premier mouvement. Du point de vue de l'amour la liberté ne peut pas se comprendre sous un jugement, la prescience divine peut encore regarder les possibles d'une seule vie comme de chaque vie, mais pour l'Amour elle doit renoncer à en connaître la fin et les fins, car ce sens appartient à la créature, il lui est cédé. De cette façon nous comprenons que Pierre qui renia son Christ trois fois fut encore sauvé, lui qui préféra donner trois file/w à son Seigneur pour se joindre au filh/mati de Judas, plutôt que de se compter parmi les champions, et voilà pourquoi personne ne dira qu'il fallait que Pierre fût nécessairement chrétien.

  L'imitation de Jésus-Christ

 Jésus-Christ est le Fils de Dieu, il naquit pour vivre dans un corps semblable au notre, c'est pourquoi il porta sa croix, fut crucifié, pour ensuite ressusciter d'entre les morts, tel est l'exemple qu'il laissa dans sa chair à ceux qui, aujourd'hui encore, veulent le suivre dans un même renoncement. Du temps a passé, et il ne reste à présent qu'un troupeau de prêtres et de pasteurs dispersé et affairé loin du seul devoir chrétien qui est, puisqu'il faut le rappeler, celui d'imiter Jésus-Christ. Pour le dire autrement on ne voit que des hommes soucieux d'imiter ce monde plutôt que leur créateur. Le moteur de l'imitation c'est le renoncement ; mais le pasteur danse, fait l'artiste, joue la comédie ; il fera école, car il a ses études, son parti, ses voyages ; il fait des folies et...adore ce monde ! Il est fier d'être un pasteur moderne, et d'être un pasteur quand même, et c'est pourquoi ,de temps en temps, il nous prêche un beau sermon sur l'imitation, c'est qu'il a certainement fait de son mieux en matière de renoncement, ou bien alors il nous faut comprendre cette vie tranquille et facile comme un avant-goût de ce qui nous attend auprès de Dieu. Ils en ont de la chance tous ces théoriciens ! Sans connaître le désespoir ils nous annoncent le repentir, loin des menaces ils nous exposent les souffrances, et plus grotesque encore, sans la seule imitation ils font des leurs de brillants modèles. Mais des modèles de qui ? Du pasteur tranquille ou bien du Christ en croix ?

  Le dimanche matin

 Tu vas à l'église et tu fais bien, car si tu y vas c'est que, certainement, tu reçois cette Parole dans toute sa plénitude : " Je supporte ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas parce qu'ils mentent. " Mais si tu y vas pour tout autre chose que les douleurs et les souffrances, sache cette fois que tu te trompes et que ta méprise est grande, ce que tu trouveras dans une église ressemblera au mieux à ce qui se rencontrait déjà dans une synagogue. Aujourd'hui le chrétien est pareil au juif, et son théologien n'est pas autre chose qu'un pharisien. Mais le témoin est celui qui souffre en vertu du renoncement qu'il connaît dans son existence, et il sait que tous ceux qui cherchent la gloire la perdront.

  Du désespoir à l'Amour

 Notre époque est celle de la confusion, faire de l'amour et du désespoir tout un art est devenu le passe-temps favori de l'homme moderne. On décrit l'amour, on décrit le désespoir, tout est une description de tout, on prend un sentiment pour l'examiner attentivement et en parler, comme si de cette façon on pouvait atteindre et toucher son fond et connaître enfin une des vérités qui serait au principe de sa nature ou d'une humanité. Ainsi on chante l'amour, on le joue dans le septième art, de même que l'on chante un désespoir ou bien encore une peine. Mais tant que l'on décrit on ne sait rien, ce désespoir esthétique ne vaut rien, d'ailleurs il est toujours compris sous une éthique, il ne sort jamais de l'humain, il reste prisonnier de son fond, de ses racines. Ce désespoir demeure sous une éthique, désespérée peut-être mais une éthique quand même.

 Tant que l'on ne renonce pas on ne sort pas de son humanité, celui qui fait dans l'art, et qui peint le désespoir, fait aussi l'économie de quelque chose qui espère encore, et nous pouvons comprendre qu'il épargne un amour, prisonnier à son tour de sa même personne, c'est l'amour propre aux dieux qui aiment, amour qu'il décrira ailleurs selon les règles esthétiques, voilà pourquoi celui qui s'affaire ainsi n'a pas renoncé à lui-même. Le désespoir est efficace lorsqu'il anéantit l'homme en son entier, et c'est toujours le premier mouvement qui compte, tant qu'il n'a pas cette force et cette honnêteté il ne sert à rien d'autre qu'à faire le bonheur ou le malheur d'un monde perdu. Une fois renoncé l'homme est propre à connaître l'Amour vrai qui vient de Dieu et qui le crée à nouveau, et dans ce sens-là le désespoir reçoit l'Amour.

  Ethique savante

 On connaît tous ces hommes très savants qui prêchent la pensée et ses raisons, mais aussi les dérèglements de toutes sortes. C'est qu'ils en on fait des études pour en arriver là ! Mieux encore puisqu'ils sont autorisés à divaguer par ces mêmes études qu'ils ont suivies, aussi je suis heureux de ne point en avoir à leur endroit ! Tous ces modernes périssent sous le poids de leur malheur, comme des allumettes ils se consument dans leurs propres flammes.

 Les politiques veulent bâtir un monde, et lorsqu'on voit les matériaux qui servent et serviront encore à son édification alors on comprend aisément que ce ne sont pas seulement les hommes les plus riches et les plus instruits qui nous gouvernent et nous mondialisent, mais encore les vanités, les chimères, les délires, et tout simplement le péché qu'ils transportent partout avec eux. Je crois que la politique rend les hommes grossiers. Une autorité publique ne prophétise jamais, une assemblée ne juge pas de l'éternité, tout cela regarde vers un devenir incertain, en fait il s'agit d'accomplir le règne et la souveraineté des uns et des autres. Mais il est difficile de régner à plusieurs, il y a trop de dieux sous le ciel éternel, les suffrages et les lois feront le reste mais jamais qu'un homme ne se renonce parfaitement dans son intériorité. Tout cet art fait l'économie du péché, de l'éthique, les hommes artistes s'arrangent voilà tout, ils s'arrangent entre eux pour s'imposer aux autres. Mais seul Dieu nous juge d'une façon vivante, car tout son amour accuse notre plénitude. Et pour entendre cette voix qui veut nous délivrer, qui veut nous sauver pour faire de nous des fils, il faut s'arrêter un instant, et ne plus écouter ces faiseurs de discordes qui pour arriver à leur fin se moquent de la chair et du sang.

  Luther et Moïse

 Il y a chez Luther une liberté qui doit tout à Dieu et une autre qui donne trop aux gouvernements et aux princes de ce monde, plus tard Jean Calvin durcira le ton et il le fera autant dans un sens politique que religieux. Mais revenons à Luther chez qui je peux voir un homme suscité par la Providence . Pas dans le sens où je trouverais chez lui une sorte de sauveur, car ce genre de sauveur a beaucoup détruit par ailleurs et cela afin d'épargner ce qui lui convenait, mais plutôt dans un sens autre et mieux adapté au célèbre personnage, dans lequel il serait mieux de voir un libérateur qui s'ignore, une sorte de Moïse qui malgré lui libéra un peuple qu'il ne connaissait pas, si bien que chaque homme que compte ce peuple est plus grand que Luther.

 Tradition religieuse

 L'hérésie d'aujourd'hui fera la tradition de demain. C'est comme en politique, on laisse une nouvelle pensée nous envahir, et une fois dans l'histoire, si elle convient au plus grand nombre, on l'autorise par une loi qui l'élève au rang de dogme, car c'est le mouvement du temps et de la majorité qui décident de tout. Voilà comment la théologie est arrivée à accorder les facilités du siècle présent aux Evangiles d'antan !

 Aujourd'hui l'évangile fait dans l'art, et il n'y a pas de doute à ce qu'un jour l'artiste, en qualité de nouveau prophète, puisse voir tout son savoir-faire se ranger sous la voix de Dieu. L'art est devenu le moyen de la grâce, d'une grâce qui cherche à plaire et à convaincre, plutôt que de juger en vue de sauver, d'une grâce qui donne trop à l'homme et qui l'épargne davantage encore, d'une grâce qui se fait l'esclave du pécheur et qui pèche en cherchant à répondre à son intelligence, c'est-à-dire à son bien et à son mal, car le coup porté sur un seul membre vient de sauver l'autre ! L'art, un beau détour pour ceux qui doutent, pour les mous et une tiédeur pastorale toujours en mal de séduction. L'art ne juge de rien, il ne veut que des bravos et des admirateurs, c'est pourquoi le jugement divin est pris en vain. Cette dépendance au temps demande trop de place pour l'instant éternel, le temps passe, Dieu attend, et l'artiste fait des émules, l'art on le voit ne traite rien dans l'urgence, c'est comme pour un catéchisme et ses doctrines.

 Aujourd'hui on a du temps à perdre, surtout en religion, tout change, alors les chrétiens se donnent en spectacle ! Mais c'est l'Amour non du beau mais des âmes qui détermine l'urgence de l'appel en vue du salut, c'est pourquoi l'art et tout son devenir n'ont aucune puissance éternelle. En Jésus-Christ Dieu s'est renoncé, aussi l'homme et l'artiste doivent se renoncer à leur tour, les cultes du beau et de l'image ne font pas le chrétien, seul le renoncement le fait. Chez Dieu le renoncement est tel que le signe ne fait pas plus d'effet qu'une image quelconque, il ne compte pas. C'est dans la faiblesse que Dieu s'est révélé et dans cette même faiblesse qu'il veut nous relever, que cette sagesse et son sens rendent le signe inutile et inutilisable et nous connaîtrons la puissance du renoncement selon la foi en Jésus-Christ, car le serviteur juge l'homme tout entier pour sa liberté.

  Le signe et le sens

 De même que le corps ne va pas sans l'âme, et que les deux s'ajustent si bien qu'il est impossible d'en défaire le nœud, de même le signe incarne le sens et lui donne un corps si bien que sauf de vouloir mentir l'un ne va pas sans l'autre. Il y aura toujours de l'art dans les mots, mais cela ne va pas sans ordre, et il faut que le signe convienne au sens et lui soit approprié en l'habillant parfaitement. Ainsi la prédication ne va pas sans la croix, la louange sans les instruments, et la foi sans les œuvres. Si le religieux se reconnaît toujours à l'accord parfait, l'éthique se mesure et se trouve dans un désaccord, dans le mensonge d'un autre monde, ce faisant l'éthique met une distance entre le signe et le sens.

Théologie négative

 Tout comme Plotin le Pseudo-Denys 23 nous décrit un dieu anonyme et solitaire, un dieu sans caractère. Pour mieux se passer d'obéissance ce dieu logique se décrit sans volonté, il ne veut jamais et il n'aime rien, et c'est pourquoi l'extase ou l'union sacrée est anonyme elle aussi, la rencontre se fait malgré le dieu. Ce que Dieu affirme de lui-même, qu'il est amour, tout-puissant, etc., se réduit à un symbolisme que la théologie interprète, et elle le fait en traduisant sa Parole en néant.

 Nier ainsi et à ce point, c'est presque faire profession d'athéisme ! Disons que c'est logique, et que de ce point de vue toutes les théologies se donnent la main. L'objet de la foi se réduisant au néant c'est la foi elle-même qui est rendue vaine, elle n'a plus lieu d'être, et il en est de même pour l'obéissance qui a perdu ses Paroles de vie. Par le moyen du négatif la Parole du Dieu éternel se trouve entièrement annihilée, son incarnation altérée, son renoncement incomplet. Ce qui justifie ce moyen c'est le principe même de la théologie qui le décide, et ce principe est propre à toutes les théologies, il est la science du rapport éternel, science qui se construit dans un discours inachevé et une interprétation englobante et consensuelle. Or, ce qui est sans bornes finit toujours par ennuyer l'âme solitaire qui se connaît, c'est pourquoi vint un jour la théologie de l'oubli, car c'est la théologie négative qui donne une conclusion aux théologies qui précèdent. Pourtant ce n'est pas en vain que l'apôtre disait : " Ce dieu inconnu, c'est celui que je vous annonce 24 ", saint Paul n'a rien à faire d'un dieu anonyme, il annonce, au contraire, un Dieu vivant ici et maintenant. La foi vivante, de celui qui se renonce, reçoit une Parole vivante, cette même Parole qui s'est faite chair et qui jadis vécut parmi nous, la Parole éternelle exige l'obéissance de ceux qu'elle appelle, obéissance qui est déterminée par le renoncement de soi et non par le renoncement à la Parole qui appelle, ce qui a fait l'affaire de la négation théologique.

 Celui qui se mêle d'expliquer discute avec Dieu, il remet l'obéissance et le renoncement à plus tard, mais de là à tout nier il faut le vouloir pour oublier. Il faut reprocher à la négation logique de réduire la Parole à un rien du tout, et de noyer la foi et son renoncement dans la vanité, en fait c'est une logique du dernier mot. Sauf à vouloir l'oublier pour se sauver je ne vois pas d'autres raisons de vouloir plonger Dieu dans le néant. Mais le pénitent n'est pas sauvé en vertu d'une théologie mais en vertu d'un Dieu vivant, le croyant s'anéantit lui-même, et lorsqu'il fait un saut, il le fait en lui-même, il saute de sa hauteur d'homme et de dieu aussi, il tombe pour devenir un fils. Celui qui aime Dieu le rencontre à coup sûr, il le connaît, et il est tout à la fois un temple et un fils.


 LIVRE III


  Désillusion

 La pensée théologique ne trouve pas Dieu, seule la croyance le peut. La théologie ne trouve qu'un dieu qui par rapport à " l'ici et au maintenant " n'est pas, le dieu théologique est un dieu qui renvoie à l'homme, à son éthique et à son immanence, au mieux la présence de ce dieu a été enfermée dans un livre et son action rejetée dans le passé. Ainsi au-dessus des textes reçus les hommes peuvent penser et délibérer, c'est que pour avoir tant de désaccord au sein même du christianisme nous avions besoin des théologiens ! Lorsque nous voyons des hommes sans se soumettre à l'éternité décider des conditions, du temps et du lieu de sa Présence, alors nous pouvons comprendre comment sont nées toutes ces diversités religieuses. Nous trouvons des religions de toutes sortes, protestantes, catholiques, évangéliques, des associations, des fédérations, toutes elles désirent un consensus sans jamais y parvenir parfaitement, voilà le résultat de tant de siècles théologiques ! Théologie qui va jusqu'à se mêler de politique, et qui donne raison à une association culturelle et cultuelle qu'il me faudrait encore dénoncer !

 L'Eglise nous la portons en nous et avec nous, Dieu vit dans le croyant, et c'est pourquoi la pensée théologique échoue à rendre un culte en esprit et en vérité, sa distance éthique lui interdisant la Présence divine.

  Le signe de Jonas

 " Prenez-moi, jetez-moi dans la mer, et la mer se calmera envers vous ; car je sais que c'est moi qui attire sur vous cette grande tempête 25. " Ici se trouve déjà le signe dont Jésus parlera 26 ; signe dans lequel il convient de voir un renoncement véritable, et pas seulement une descente dans le séjour des morts, car ces trois jours terrifiants à tout point de vue sont déterminés par le renoncement préalable, et il en est de même pour la prédication de Jonas qui suivra elle aussi ce renoncement.

 Préférant la mort à la vie, Jonas renonce à son bien, à son mal : son malheur c'est cette tempête, son bonheur c'est ce navire, pourtant son désespoir vrai ne cache aucune espérance, Jonas désespère tout à fait. Joignant l'œuvre à sa foi, Jonas fait un saut, et il demande aux marins de le jeter par-dessus bord. Il le fait afin de ne jamais s'attacher au navire, et pour ne plus craindre l'orage, il le fait pour fuir ses raisons, et le faisant il renonce à lui-même. Jonas est libre enfin.

 Des textes reçus et de l'éternité

 Là où se trouve un croyant il y a la présence de Dieu. Mais une supercherie tout humaine a voulu se passer de cette présence en rejetant l'inspiration éternelle dans les temps du passé, et c'est de cette manière que les temps d'après purent déterminer l'instant présent. On a pris la Genèse comme principe, et la Révélation de saint Jean comme fin des Ecritures, aussi depuis presque deux mille ans Dieu n'est plus. Tous les témoignages nous précèdent, l'histoire transcende le sacré, le passé est un nouveau ciel, le temps décide de l'éternité . Nous n'avons que des souvenirs, une sorte de mémoire éternelle, ce qui est un non-sens. Balivernes en vérité, car le canon vient du croyant, de celui qui aime Dieu, et Dieu prolongera son œuvre jusqu'à son retour ! C'est pourquoi le canon loin d'être figé et fixé se poursuivra jusqu'à la parousie, bien que les hommes veulent lui fermer la bouche l'Esprit prophétique perdurera jusqu'à l'avènement du fils de l'homme.

 On a rejeté l'action divine dans le passé, de cette façon l'histoire pouvait faire la meilleure place aux théologiens et autres faiseurs de doctrines, d'où ce mal théologique qui concilie l'Evangile et la culture, le siècle et l'éternité. Le canon n'est plus qu'un moment de l'histoire, et le siècle peut conditionner l'éternité, puisqu'il a trouvé une place en dehors de la présence de Dieu, ainsi je poserai la culture pour interpréter cette présence enfermée dans les Ecritures d'antan. C'est depuis que le croyant peut en toute confiance penser sa foi et la concevoir dans son intériorité, comme présence la construction théologique donne le coup de grâce au renoncement du théologique renvoyant par ce même coup la Présence de Dieu en un autre lieu et dans un autre temps. Seul le renoncement invite Dieu à remplir " l'ici et le maintenant ", mais le théologien n'a que faire de l'éternité puisque la dominant de sa présence il en a pris la place et en a volé la renommée.

 Nous comprenons que les Pères nous ont trompés, aussi leur autorité n'est plus sûr, il en est de même pour les conciles et les traditions qui courent jusqu'à nous. Le canon reçu aujourd'hui n'a plus de frontière et de date arrêtées. Soit d'hier, soit d'aujourd'hui, soit de demain, la Parole de Dieu reste sainte est demeure vivante. Nous venons de le voir, les théologiens ont rejeté dans le passé, l'action de Dieu, son autorité, et sa sainteté. Mais sur le chemin de Damas tous peuvent devenir apôtres, écrire et contribuer à l'édification vivante d'une Eglise présente.

 Contre les religions

 Il faut s'opposer de toutes ses forces à cette sorte de prosélytisme qui annonce la Parole de façon à ce que celui qui l'a reçue s'aperçoive plus tard qu'il est protestant ou bien encore catholique. L'individu est lui seul responsable de la Parole reçue, il en est le gardien, or lui aussi il a l'Esprit-Saint. Ce n'est pas aux associations ni aux catéchismes de décider d'un devenir religieux qui doit être propre à chacun. L'onction de l'Esprit enseigne toute chose à celui qui vit par la foi. Pour poser un temps, une histoire entre le croyant et Jésus-Christ, il fallait une école, une interprétation, et donc une théologie, c'est pourquoi l'erreur missionnaire est celle qui rattache le primitif ou le moderne à une histoire qui n'est pas la sienne. Il convient de s'attacher à une Parole nue, car sans commentaires, il s'agit de renaître et de prendre un chemin dès son commencement.

 Orientations

 Pauvre homme à qui les théologiens font croire que pour servir Dieu il faut s'asseoir sur les bancs d'école et se mettre à de difficiles études ! Alors que pour le service éternel il suffit de renoncer à soi-même, et dans tous les cas Dieu ne demande rien d'autre.

 C'est pourquoi il faudrait plutôt fermer les écoles de théologie, interdire les catéchismes, dénoncer l'association Eglise-Etat ! Le christianisme n'est pas une étude, ni un exercice, aussi n'est-il pas de ce monde.

 Le Dieu de Luther

 De l'omniprésence divine Luther, dans un de ses propos de table, conclut à la présence de Dieu en enfer 27. Nous voyons encore et toujours que le Dieu du théologien est un dieu logique. Des Pères à Luther, de Luther à nos jours, rien n'y changera quelque chose, le théologien reste un logicien, l'ami d'une logique devenue sacrée, cet attachement paraît indéfectible, pensée sous les traits du divin une logique décide de tout et de Dieu. Une logique immuable habite les cieux, voilà pourquoi le théologien peut conclure jusqu'au dernier de ses effets.

 Mais si Dieu renonçait à une chose, à une créature, à un lieu ou à un temps, vraiment ne serait-il plus Dieu pour autant? Les exemples de regret et de repentir divins sont nombreux dans les Ecritures, et ces vieux exemples se verront plus tard couronnés par les œuvres de notre Seigneur, car c'est en Jésus-Christ que Dieu renoncera à Lui-même. C'est Luther qui donna à Calvin le fil du destin, mais cette prescience ne sert que la logique du réformateur. Une fois ce fil bouclé sur lui-même tout renoncement sera vain! Mais en réalité un renoncement vrai ne va pas sans rupture, et cette rupture ne se fait pas sans éternité.

 Dominations

 Qu'elles soient physiques, politiques, ou bien encore religieuses les sciences ne sont que des vanités face à l'éternité présente. S'expliquer le monde s'est l'avoir refusé tel qu'il est et tel qu'il s'offre à nous dans sa simplicité et dans sa diversité. La théologie qui prend Dieu pour objet ne manque pas d'en faire une nature, première si l'on préfère mais une nature quand même, de cette façon elle peut penser la divinité. Mais expliquer Dieu c'est l'avoir du même coup refusé tel qu'il s'est révélé et continue de se révéler. Il en est de même pour celui qui pense l'univers tout entier, qui prend ses phénomènes pour des lois nombrables au lieu d'y voir la puissance et la volonté du Verbe divin. Tous les hommes interprètent la nature et désirent la pénétrer de leur pensée, et parce qu'en le faisant ils refusent cette nature ils refusent Dieu qui l'a créée. Refuser Dieu et sa création alors qu'il s'agit de se renier soi-même. L'homme pense les choses selon ses catégories, selon lui-même, et cela afin de se les rendre accessibles, aussi construit-il un monde à son image, enfin il règne sur ses théories et se transforme dès lors en politicien très instruit. Même chez le politicien il y a une négation de Dieu et des hommes ; quelle misère de nier ainsi les hommes tels qu'ils sont ! L'homme se construit en niant l'autre, en le refusant, et c'est de cette seule façon qu'il devient un créateur, alors il façonne un monde selon lui, selon une éthique, à sa ressemblance.

 Le refus de l'autre suscite le nouveau dieu, le règne des savants qui sont rois. Mais celui qui trouve le seul vrai Dieu trouve un Royaume et sa création, il n'a plus rien à chercher ailleurs, tout lui est donné, tout est à lui, là sont la vraie béatitude et la joie parfaite ! Mais pour trouver ainsi il ne faut pas chercher des explications, c'est le renoncement qui cherche et qui trouve Dieu. Quelque part Nietzsche disait : " Là où cesse l'Etat, c'est là que commence l'homme 28 ", mais il faut apporter une correction à cette phrase qui ne veut servir que l'homme, car en vérité c'est là où finit l'Etat et le règne de l'homme-dieu que commence la croyance, le renoncement et le règne de Dieu. Le philosophe nous trompait en posant une transcendance dans l'immanence , en proposant une révolte ou une sédition intellectuelle. Mais le chrétien vient du ciel, et partant de là il n'a que faire des sciences et des pouvoirs en tout genre. Bien sûr il existe une subtilité religieuse qui consiste à rendre à César ce qui est à César, mais cela représente une ruse pour ne pas être inquiété par les temps qui passent, c'est pourquoi le chrétien s'opposera malgré tout aux sciences politiques. L'Etat est un mensonge où l'on pose et réglemente le règne de l'injustice, où ce qui est vrai aujourd'hui sera faux demain, tout cela n'est pas très sérieux et dépend, bien qu'un Cicéron l'ait désapprouvé, de l'opinion du plus grand nombre. Le règne de l'immanence a fait le règne du mensonge, et le chrétien fera bien de s'y opposer, si toutefois il le fait en vue de nous libérer.

  Des premiers principes

 Là où quelques-uns ont trouvé des principes simples et indémontrables d'autres ont trouvé une multitude de raisons à ces premiers principes. La théologie des principes est de celle qui veut sauver sa foi, mais elle ne peut y arriver puisqu'en ignorant le renoncement la croyance qu'elle propose n'est qu'une apparence de foi, aussi elle manque de réalité et d'existence. C'est une foi déduite suite à de savants calculs et de riches réflexions, elle est le fruit d'une dialectique qui partant d'un donné s'élève toujours plus haut jusqu'à trouver sa limite dans un principe qu'il faudra bien poser comme premier, mais jusque là nous sommes encore dans l'intelligence et dans ses raisons, car c'est juste avant la descente que nous trouverons l'apparence d'une foi. Le théologien, qu'il soit l'auteur d'un Stromate ou d'une Pensée, dans tous les cas oublieux du profane, part toujours d'en haut, c'est pourquoi il postule un principe indémontrable qui conclut à la foi, et sur cette foi se construit forcément une connaissance selon la démonstration et son exégèse, de cette manière peut commencer la descente jusqu'à la diversité qui nous échoit, descente qu'accompagne l'intelligence grandissante. La théologie peut ainsi s'absoudre au nom de la foi qu'elle s'est trouvée, elle a oublié l'ascension première qui l'avait conduite au premier principe. Aussi les théologies chrétiennes sont secondes par rapport à celles premières des philosophes, elles se sont juste arrangées pour oublier leurs aînés et leurs pères, car à bien y regarder théologie et philosophie sont une seule et même chose.

 Mais il convient de renoncer à soi-même, et de le faire avant toute ascension philosophique et avant toute recherche théologique, de cette manière seulement nous verrons la foi et connaîtrons le seul vrai Dieu. Il faut renoncer à ses raisons, car c'est la raison qui monte et qui descend, c'est elle qui fait le nœud, à son gré elle attache ce qu'elle trouve à ce qui lui plaît, elle vit pour elle-même. Voici comment le théologien peut joindre le sol qui est sous ses pas au ciel qui est au-dessus de lui: un sol et un ciel se trouvent déjà en lui ! Mais si la raison qui fait le milieu est renoncée alors tout se détache et disparaît, la foi est créée, Dieu trouve une place, il se pose lui-même. Dieu devient l'intelligence de l'homme, sa raison partout présente, un souci permanent. Mais Dieu ne se laisse pas comprendre pour autant, Il veut être aimé. L'homme a sa place, Dieu a la sienne, l'homme de Dieu est un fils de Dieu, et le paradoxe demeure mais couvert pour toujours de l'Amour divin. Dieu crée un homme en entier.

  Foi et connaissance

 Foi et science ne vont pas ensemble, il y va d'un fossé entre les deux. Lorsqu'elle est placée au milieu de la dialectique comme à son sommet la foi interdit tout renoncement vrai, si tu regardes avant tu trouveras la science, si tu regardes après il y aura encore cette science, c'est pourquoi l'homme de Dieu renoncera à la dialectique afin de trouver la foi, pas une foi déduite du principe dialectique, mais une foi produite par un renoncement complet et désespéré.

 Que la connaissance précède la foi ou que la foi vienne avant cette connaissance tout ce langage ne vaut rien, et n'est qu'un pur charabia obscur et vain, s'il n'y a personne pour préciser et éclaircir ce que l'on entend par ces termes. L'homme de Dieu renonce à lui-même, aussi toutes choses sont devenues nouvelles, il sait que toute connaissance vient du Dieu vivant, et que selon cette vertu elle demeure un paradoxe objet de sa foi. Mais il en est de même pour celui que Dieu appelle et accuse en vue de la liberté, c'est l'Esprit-Saint qui enseigne pour convaincre l'homme de son péché. Alors que cette connaissance vienne avant ou après la croyance rien ne change au fait qu'elle est là pour nous inviter au saut d'un renoncement. Seul Dieu a l'initiative de sa Présence, aux hommes d'y répondre !

 Origine

 C'est aux origines du christianisme qu'il faudrait revenir, ce sont ses commencements qu'il nous faudrait prêcher au monde entier. Beaucoup essayèrent de retrouver un christianisme vivant et authentique et pensaient même lui avoir rendu une jeunesse primitive, mais comme la plupart négligeaient de remonter plus haut que les Pères tous pour le dire ainsi échouèrent. Il n'en fut pas autrement du protestantisme qui s'arrêta à saint Augustin. Et lorsque quelques enfants de Luther voulurent s'essayer plus haut ce fut le plus souvent pour faire outrage à la pudeur divine, car prêcher le fabuleux et les charismes en tout genre donne au mieux une contrefaçon vaine et inutile, là encore on manque les origines. Et tous ces défauts sont venus jusqu'à nous parce que trop peu de chrétiens ont désiré l'essentiel de la croix, or seul le renoncement fait tout son caractère.

 Je le répète c'est aux origines du christianisme qu'il nous faudrait revenir, pas le christianisme de Luther, ni même celui des Pères, mais au christianisme vivant de Jésus-Christ. L'Eglise primitive est celle des Evangiles, elle n'est pas protestante, ni juive, ni romaine ; elle ne considère que le renoncement divin, c'est son modèle, son exemple, c'est pourquoi elle imite Dieu dans un renoncement véritable, aussi elle prêche Jésus-Christ crucifié. Tout ce qui est ajouté sur l'origine ne vaut rien, et nous éloigne de la vérité et du seul Dieu renonçant. Aux origines on ne trouve ni couleurs, ni catéchismes, ni écoles et spectacles, mais que des mots humbles et nus. Pourtant ces mots furent habillés en vue d'un Evangile facile et acceptable pour le plus grand nombre. Aujourd'hui les messages de renoncement et de repentance se retrouvent ensevelis sous un amoncellement de couleurs, de principes et de doctrines. Mais qu'il est heureux celui qui a gagné le ciel malgré de telles compositions ! C'est qu' il s'en est donné de la peine et du temps pour ne retrouver qu'un simple trait d'Evangile !

  Le principe du pire

 Partout nous retrouvons cet affreux principe qui fait que le plus souvent les hommes cachent des maîtres. L'homme aime éduquer l'homme, il veut qu'autrui se fasse selon sa ressemblance, selon son intelligence, ses titres et ses études. C'est une course au règne, celui qui domine le plus de monde, qui se fait le mieux payer tout en laissant un maigre salaire à autrui mais suffisant pour l'enchaîner, celui-là réussira certainement, et mieux encore qu'une réussite financière son éthique, c'est sûr, fera école et servira de modèle. Il en fera des émules ce maître qui façonne un nouveau monde ! Jamais il ne renonce celui qui enseigne de cette manière, voilà pourquoi lorsqu'il parle Dieu se tait.

 Du haut de son immanence le maître cherche à instruire, à corriger et à éduquer, et cela afin de ne pas commencer par lui-même, c'est qu'il est toujours plus facile de faire porter les fardeaux que l'on a soi-même ordonnés. Mais celui qui s'est renoncé enseignera la vérité, il parlera et on entendra la voix de Dieu, car seul le renonçant a sa place parmi les prophètes. Quant à celui qui néglige le renoncement préalable, toujours nous le verrons s'ériger en modèle et se moquer du modèle éternel qui lui se renonça pour de vrai. Loin de Dieu le maître fait selon la connaissance qu'il possède, que sa décision, ou son autorité, pèse sur une existence autre que la sienne et puisse la déterminer au pire, pourvu qu'il s'en tire à bon compte et voie son projet se réaliser. C'est que renoncer à son monde n'est pas chose aisée lorsqu'il faut se faire assez pauvre pour accueillir le meilleur.

 L'arbre édénique

 Au sujet de l'arbre de la science du bien et du mal il suffit de remarquer que cet arbre unique porte un fruit unique, et que le bien et le mal sont compris dans ce seul fruit. Aussi ce bien et ce mal déterminent le mal suprême, ce qui fait le nouveau dieu qui comprend l'homme tout entier. C'est pourquoi l'interdiction divine frappe tout l'arbre, tout le fruit, tout son bien et tout son mal, et cela afin que l'homme reste un fils et demeure dans la présence du Père, plutôt que de le voir espérer en son propre fond, se connaître et devenir un maître, c'est-à-dire se choisir contre Dieu et malgré Dieu.

 Pourtant en Jésus-Christ Dieu continue à croire en l'homme et à son devenir chrétien, pour croire ainsi il renonça à sa majesté, à sa royauté, à sa divinité. Dieu espère en l'homme, et il veut retrouver des fils en vertu de son propre Fils.

  Coupable, non coupable

 La puissance de l'éthique se retrouve dans les souvenirs. Se souvenir de son bien, de son mal, bref se souvenir du péché, le retrouver dans sa mémoire, c'est là ce qui fait notre malheur mais parfois aussi nos consolations, car dans la connaissance qu'il a de lui-même l'homme se bénit ou se maudit. Tu te souviens du péché, alors tu as la condition pour pécher encore et encore.

 Dieu ne tolère pas le péché, il ne le permet pas non plus, mais bien au contraire Dieu souffre nos égarements et nos révoltes, sur la croix il se laissa crucifier car voulant nous libérer il avait déjà renoncé. C'est pourquoi devant Dieu, et du point de vue de l'éthique, nous sommes toujours coupables, et alors un jour viendra où devant la sainteté et sa pureté nous plierons les genoux. Le miracle de l'oubli serait alors l'ultime miracle, l'ultime démonstration d'amour, puisque pour ne pas trembler ce jour-là il nous faudrait justement oublier que devant Dieu nous sommes toujours coupables. Mais les souvenirs font les hommes, et l'homme nouveau ne va pas sans une histoire, c'est pourquoi le miracle se trouve en Jésus-Christ, dans son œuvre et son pardon, et ce pardon se trouve auprès du Dieu vivant.

  Jugement philosophique

 Le cœur de l'homme est un désert qui a soif de Dieu, mais sur le désert s'est édifié une grande ville qui elle n'a plus besoin de rien. C'est pourquoi pour retrouver le chemin du salut ce cœur doit démolir ses constructions, une immanence doit être reniée afin de retrouver un désert propre au salut. Il s'agit de renoncer à ses libertés afin de recevoir le seul Dieu vivant qui en Jésus-Christ est notre libérateur. Ce libérateur se posera lui-même dans tout renonçant, et sur le désert qu'il trouvera il posera le fondement sur lequel il édifiera l'homme de Dieu. Le renoncement invite Dieu, or l'éthique invite ce qui l'arrange. Elle est gourmande, elle aime les nombres, elle préfère la foule des hommes au seul Dieu vivant, la quantité à la qualité. Loin de Dieu l'homme juge en vertu du multiple, c'est-à-dire de l'éthique, de son rapport au règne, par contre l'homme spirituel connaît le jugement de Dieu, et c'est pourquoi il juge lui-même selon la justice de Dieu.

 Plotin ne voulait pas renoncer, il croyait ce désert habité par Dieu avant tout renoncement préalable, il voyait Dieu comme immanent à l'homme, ou plutôt comme une transcendance dans l'immanence. La pensée religieuse de nos modernes n'a pas trop changé, à partir d'un Plotin il est facile de conclure à l'homme-dieu des philosophes actuels. Il faut pourtant convenir que nos sages modernes sont plus des professeurs, des maîtres, que des hommes qui chercheraient la vérité pour elle-même. C'est la distance que l'éthique place entre l'homme et Dieu qui a changé, rien d'autre, mais pour finir nous sommes toujours dans l'éthique. Chez Plotin la distance est courte et vite franchie, chez un moderne elle est très longue et remplie de difficultés de toutes sortes, c'est le sens du temps qui joue contre nos philosophes et qui leur prête cette fausse indifférence à la vérité. Mais il est aussi certain que les professeurs ne font pas les philosophes.

 Est philosophe celui qui se comprend, se connaît, et partant de là se décrit en tant qu'existant. Postuler l'autre, la nature, ou bien encore l'histoire, celle de la pensée par exemple, c'est suivre une fausse piste. Le philosophe se postule lui-même, il se raconte, et les autres pourront attendre leur tour. Par contre est chrétien celui qui se renonce, il ne se raconte pas dans l'éthique, mais se décrit dans la pensée de Dieu, il ne se postule pas en tant qu'Homme, car il se connaît comme un fils, aussi commence-t-il en Christ comme un fils. Il n'y a pas de Transcendance en l'homme, que le dieu, avant qu'il ne renonce à lui-même. Dieu invite le philosophe au renoncement, il faut alors qu'il renonce à juger de tout, seul Dieu juge de tout. Le renoncement nous fut dévoilé en Jésus-Christ, et ce n'est pas l'Homme mais Jésus-Christ le fils de l'homme qui est le chemin, la vérité et la vie.

  Patristique

 La théologie n'a rien a faire du renoncement, et il serait vraiment fou celui qui voudrait s'affairer pour marier toute sa science au pur renoncement des Evangiles et de Jésus-Christ, ce serait la même chose que de vouloir construire une maison et de la démolir tout à la fois, ou de poser une première pierre pour l'enlever au même instant. La difficulté vient de ce que le renoncement détermine l'existence d'une façon différente, le renonçant désespère tout à fait de lui-même, il n'a plus rien à faire de l'éthique et des constructions de toutes sortes. Mais les Pères n'ont pas manqué à cette règle générale qui veut que la théologie soit édifiée sur le sol éthique d'une pensée qui est le propre de l'homme, ce qui fait aussi sa raison.

 Les Pères ne se placent jamais en retrait de l'éthique, ils ne prononcent pas de divorce. Ils font selon une science du bien et du mal, ils argumentent selon cette science, ils entrent tous dans une logique. Ils veulent nous faire comprendre le mal comme l'ignorance d'un bien, aussi leur but est de nous convaincre tout en nous instruisant. L'apologétique se construit toujours de la même façon, elle argumente selon une raison qui nourrit notre ignorance. Mais hélas, une fois instruit de la sorte le problème reste le même ! L'éthique n'est toujours pas renoncée ! Le problème a donc grossi dans un raisonnement qui a rajouté du poids à notre science, en bref l'objet à renier pèse plus lourd. Tout obéit au règne de la science du bien et du mal, où tout semble logique, et lorsqu'un païen adopte une vue selon ce qui semble être le bien, alors on en fait un voisin du Logos, et je ne sais par quel mystère d'autres en feront un chrétien d'avant l'heure ; mais si je ne m'abuse le profane ne s'est pas renoncé, il s'est instruit voilà tout, il a construit sur son ignorance, sur son propre fond !

 Et le problème est le même aujourd'hui ; en effet, nous voyons des pasteurs dénoncer les religions, les philosophies, argumenter, faire des recherches, mais jamais renoncer à eux-mêmes. D'ailleurs notre pasteur n'en parle pratiquement jamais, bien qu'il prêche une bonne heure à chaque fois. Le jour où il prêcha sur ce sujet il nous fit remarquer que le renoncement écartait tout désespoir. Pour cet homme il n'y a pas lieu de désespérer puisque Jésus a souffert pour ça. Si cela est vrai le christianisme est alors déterminé par un simple mouvement de la pensée, une position dans l'éthique, le renoncement devient logique, tout le monde est tranquille, d'ailleurs ce pasteur parlait aussi d'une logique de l'imitation. A ce niveau-là le christianisme est devenu une sorte de gnose, et ne fait pas mieux que les autres religions qu'il combat. Mais je suis convaincu que parler du renoncement c'est faire aussi une meilleure apologie du christianisme.

  La chair du Christ

 Ignace d'Antioche et Tertullien ont insisté tous deux sur la réalité de la chair du Christ, aussi je me propose de comprendre les deux hommes, car à les lire il y a comme une éternité qui les sépare. Ignace le premier a parlé de la chair du Seigneur, et il faut bien accorder qu'il n'a rien à envier aux théologiens et autres philosophes avec qui il semble n'avoir eu aucun commerce. Qu'est-ce qui peut bien séparer les deux hommes ? le plaisir d'écrire, de penser ?

 En fait le bonheur d'Ignace se trouve dans sa simplicité évangélique : il ne prouve rien, il n'argumente jamais, il expose seulement sa foi et en parle selon le modèle vivant de Jésus-Christ. Il parle d'une connaissance qu'il faut comprendre comme un don et une rencontre, et non comme une science qui résulte de difficiles recherches et de pénibles aventures. Chez Ignace la vie chrétienne implique l'imitation de Jésus-Christ, ce qui veut dire le renoncement de l'homme tout entier.

 Chez Tertullien nous trouvons l'explication et la raison de ce renoncement, et c'est pour cela que chez lui nous devons nous contenter d'un renoncement sans force, un renoncement raisonnable et logique, une pâle imitation qui selon la convenance d'un siècle éclairé sauve l'homme et une certaine éthique de l'homme. Chez Tertullien nous trouvons une théologie qui va jusqu'à un certain point, pour finalement conclure à un principe indémontrable qui n'a en fait que l'apparence du renoncement. Car il arrive à sa limite, et fatalement à quelque chose qui conjecture la foi, alors à y regarder de plus près nous trouvons chez Tertullien bien plus de logique que de paradoxe. Il en est ainsi de son traité concernant la chair du Christ, où son fameux credo 29 qui, il ne faut pas le perdre de vue, regarde la sagesse et la folie selon saint Paul, est là malgré tout pour nous instruire et nous convaincre. Tertullien veut faire mieux que l'apôtre, il veut toujours conclure plus loin, c'est comme pour l'histoire du voile des vierges où là encore Tertullien finissait ailleurs. Cette logique du credo, cette opposition dans les termes, oppositions très dures et tranchantes, nous invite bien plus à embrasser une éthique, à choisir entre bien et mal, plutôt qu'à se renoncer absolument. Tertullien s'est toujours proposé de vaincre notre ignorance, Tertullien est un maître qui enseigne. Un peu plus loin, dans le même traité, quelques chapitres peuvent paraître assez curieux, Tertullien y montre que tout ce qui a de l'être a un corps, il suit sa logique, et c'est pourquoi il conclut à la corporalité de l'âme. Aussi Tertullien n'est pas seulement théologien mais encore physicien, à force d'ergoter il passe d'une science à l'autre sans éveiller le moindre soupçon. Mais partant de l'immanence cette promenade est naturelle. Nous trouvons donc chez Tertullien une dialectique qui consiste à argumenter suivant une théologie des plus strictes, édifiée sur une éthique rigoureuse selon le bien et le mal, augmentée d'une physique matérialiste d'après la pure règle stoïcienne de son siècle, l'outil logique permettant le passage d'une science à l'autre et vice versa.

 Suivant un regard objectif Tertullien ne renonça jamais à l'homme raisonnable, il a souvent construit sur le "connais-toi toi-même ". Chez Ignace l'Evangile regarde un modèle toujours vivant et pour ainsi dire présent, chez Tertullien ce modèle est déjà passé, il appartient à l'histoire et aux théologiens.

 Du renoncement à la grâce

 L'ignorance posée comme l'ignorance d'un bien expliquera le mal sans atteindre pourtant l'incroyance du plus grand nombre. Ce n'est pas le manquement au bien qui fait le profane ni même l'ignorance de Dieu, car même les démons le connaissent, ce qui fait l'irréligion c'est l'absence de repentance, c'est-à-dire tout défaut de renoncement. Il faut, pour devenir croyant, renoncer à son bien et à son mal, renoncer à ce semblant de liberté. Le renoncement est une œuvre intérieure, une œuvre que je joins à ma foi, sans cette œuvre ma foi est vaine, sans cette œuvre je crois à la manière d'un démon. Cette puissance dans l'œuvre est un don que Dieu fait à tout homme qui vient au monde, à chacun de la mettre en action. C'est à toi de renoncer, ce pouvoir vient de Dieu, il te l'a donné et c'est pourquoi il t'appartient ; en vertu de l'œuvre de Jésus-Christ si tu renonces, tu réussiras, et Dieu te rencontrera.

 Le renoncement est une sorte de pouvoir dans ce sens où il prédispose l'homme à recevoir la présence de Dieu, mais la grâce vient de Dieu, c'est Dieu qui a l'initiative de sa présence ; et c'est à cause du renoncement d'un autre, celui de Jésus-Christ, que tout renoncement vrai sera suivi de l'effet de cette Présence. Jamais Dieu ne fut obligé par quelques événements à nous délivrer, sa rédemption vient d'une grâce pure et irréprochable. La logique n'explique pas cela, rien n'oblige l'amour, rien ne le force, Dieu est amour et il échappe à nos calculs.

 Ce qu'il faut comprendre c'est que l'œuvre du Christ n'a pas obligé Dieu, un renonçant aurait pu rester seul pour l'éternité. Cette décision divine qui veut pourtant nous délivrer propose une nouvelle liberté à l'ensemble des hommes, une liberté toute neuve. Ce qui nous place à nouveau devant l'arbre de vie et l'arbre de la science. Ainsi cette grâce qui veut s'offrir à tous nous a déjà donné le moyen de sa présence : tu reçois la Vie alors forcément tu as renoncé au bien et au mal à la fois.

 Asclépios

 Le renoncement est le seul chemin qui mène à Dieu, l'impératif du renoncement résume à lui seul l'appel des Evangiles. Les Evangiles témoignent d'une connaissance qui nous accuse pour nous libérer, et cela afin que l'homme se mette à l'œuvre, mais sans perdre de vue qu'il s'agit de se renoncer pour le Dieu vivant, et que faire cela c'est aussi accomplir l'œuvre de son Christ.

 La connaissance selon Socrate regarde l'immanence propre à chacun. La consigne de se connaître soi-même ne vient pas d'un autre que soi, elle se retrouve dans l'intériorité de chaque individu, elle est préalablement fixée en chacun d'entre nous, et détermine l'intelligence que nous avons de nous-mêmes en vue de nous projeter au-dehors pour parachever un règne égoïste, mais qui peut avoir l'allure de la sagesse ou la force de la cruauté. Lorsque cette règle intérieure apporte un remède nous pouvons affirmer que le pécheur se secourt lui-même, il devient son propre médecin. Car la contrefaçon qui produit l'apparence d'un renoncement est cette capacité de l'homme à se corriger lui-même. Mais en vue du salut c'est tout l'homme qui doit se renoncer, et ce renoncement comprend bien évidemment toute sa médecine.


 LIVRE IV 


 Le règne protestant

 C'est l'humilité qui désigne le vrai réformateur, et c'est selon cette vertu que Martin Luther fut un grand réformateur. Quant au protestantisme on le devine corrompu et comme dénaturé mais cela aussi dès son apparition, car sa racine est amère, d'ailleurs il y eut des bains de sang pour le prouver, ce fut donc un système qui voulait la place d'un autre. Un peuple et des princes jaloux du confort clérical en voulaient à leur tour, mais vouloir un avantage sous le ciel et sur la terre c'est déjà faire de la politique ! Le pasteur est un homme public, il sert la majorité, il ne cède rien au particulier, et si parfois il lui donne la main ce n'est jamais une main entière, c'est une main lâche qui un jour le saluera. Aussi le protestantisme reste avant tout une histoire de politique, de règne et de pouvoir. De Platon aux stoïciens, des stoïciens à l'église romaine, de celle-là à Jean Calvin, et jusqu'aux protestants qui ont fait l'histoire de la France ou encore aujourd'hui celle de l'Amérique, tous ont donné une assise politique à leur théologie, ainsi nous avons vu trôner des empereurs, des rois et des ministres tous chrétiens, ou du moins adeptes d'une forme de monothéisme. Dans tous ces cas le Royaume de Dieu doit s'établir sur cette terre, et la politique donne le moyen pour forcer cette présence.

 Mais le protestantisme trouve son principe chez les princes et les autres gens d'importance qui louèrent Luther et ses disciples, et qui de cette façon purent échapper à un royaume injuste et tyrannique, ils pouvaient enfin s'alléger d'un fardeau pour poser les conditions d'un autre règne, terrestre cela va de soi... Le défaut vient de ce que trop de chrétiens demandent la permission de leurs devoirs, ils veulent une place dans l'Etat, alors ils réclament des droits, parfois un contrat. Il y a longtemps les protestants connurent des persécutions, des hommes se levèrent et prêchèrent sans aucune autorisation, ainsi faisaient Claude Brousson 30 et Antoine Court 31. Mais dès que l'orage fut passé et que l'entourage du roi disputa d'une liberté civile pour les protestants, alors un pasteur 32 se mit à parler aussi de liberté de culte et de conscience, la liberté civile ne lui suffisait pas et il réclama la liberté religieuse mais du même coup fit passer un christianisme en politique. Il est vrai qu'il ne demanda qu'à retrouver un droit que la révocation avait dénié, mais la religion s'étant quelque part épurée de tout principe politique on rendait à César ce qui lui appartenait et rien au-delà, malgré tout le pasteur voulut s'autoriser d'un droit positif. D'accord avec Rabaut pour l'état civil, car cette ruse nous va bien, mais du point de vue de l'éternité le chrétien n'a que faire d'un droit positif pour autoriser son culte. En réclamant la liberté de culte et de conscience à des hommes le pasteur fut insensé, la sécularisation pouvait commencer et s'étendre de plein droit. Aussi est-ce toute la loi de 1905 qui garde quelque chose de ces égarements.

  Le saut qualitatif

 Il n'y a pas de saut qualitatif possible à l'intérieur de l'éthique, on n'y trouve que de la mesure. L'éthique se comprend dans une dialectique de la mesure, la qualité est ailleurs, au-delà de l'éthique, et pour accéder à cet ailleurs il nous faut un saut, et pour son accomplissement il faut renoncer à ce que l'on a, il faut perdre l'éthique, s'en repentir, y renoncer parfaitement. Car pour gagner Dieu il faut renoncer à soi-même.

 La qualité se trouve en dehors de l'éthique, on peut l'appeler le religieux, mais la difficulté reste alors de discerner l'éthique lorsqu'elle conjecture ce religieux.

 Liberté perdue et retrouvée

 " L'homme est né libre, et partout il est dans les fers 33 ", en le disant Rousseau n'a pas menti, il se connaissait et sentait ce qui l'accusait, la liberté l'accusait. Oui, l'homme est pure liberté, il est libre dans son principe, aussi n'a-t-il pas besoin qu'une République ou quoi que ce soit d'autre lui rappelle ce qu'il est déjà. Mais c'est avant l'éthique que l'homme fut libre, et c'est après l'éthique qu'il sera libre à nouveau, c'est à partir de l'éthique et dans l'éthique que se trouve le péché et la non-liberté. Il faut se poser cette question : Pour qui suis-je libre? La liberté veut se manifester, mais pour qui le fait-elle? On est libre par rapport à autrui, et c'est pourquoi la liberté pose toujours un autre que soi.

 Aussi nous voyons que seul le chrétien est libre, il est libre parce qu'il est un fils et non un maître, il ne règne pas, il s'humilie pour le seul Dieu qui s'est manifesté en Jésus-Christ, car la liberté joue sous l'obéissance. L'éthique ne fait pas la liberté, elle fait le dieu, et à l'endroit du dieu il est inutile et vain de parler de liberté. Dans l'éthique l'homme établit son règne, l'éthique faisant le maître personne n'est libre en soi. Le chrétien est libre, et le péché ne peut vaincre celui qui travaille à son salut, l'éthique ne peut rien contre un renoncement. Dès qu'un homme se renonce, une liberté vient de naître.

 Rencontre

 Penser Dieu et le connaître ne sont pas la même chose. Dieu ne se retrouve pas dans un concept, ce genre de concept se rapporte à l'immanence de celui qui le pense, à sa propre existence, rien ne vient du dehors. Nous parlons du Dieu vivant et présent, qui se trouve " ici et maintenant ", qui a lui seul l'initiative de sa Présence. C'est pourquoi toute connaissance de Dieu doit naître d'une rencontre d'existences, et c'est le renoncement qui conditionne cette rencontre, le renoncement qui produit une foi parfaite et qui dans cette perfection invite la Présence divine. Aussi l'intuition de Dieu détermine la connaissance que nous en avons, après la foi vient l'intuition, car pour parler du Dieu éternellement présent nous avons besoin qu'il se manifeste selon sa vraie Nature. Celui qui renonce connaît Dieu, parce que Dieu se révèle là où il trouve sa place. C'est la foi par son renoncement qui cherche Dieu, car selon l'entendement l'homme n'a pas la condition de la connaissance divine, il en est dépourvu, c'est Dieu qui a l'initiative de sa présence, sa présence ne vient pas remplir un concept car elle veut se saisir d'un homme tout entier. Il n'y a pas de condition a priori qui se rapporte à Dieu, la pensée en est dépourvue puisque c'est l'homme tout entier qui doit se renoncer. La raison pure ne fait pas le chrétien, elle fait le dieu, mais le chrétien vient du renoncement, et la foi trouve ses fils.

 Le mal théologique fut de soumettre la Parole divine à l'immanence intelligible. La Parole traduite en concept s'ouvre de cette manière au développement spéculatif et à la science, dès lors la voix de Dieu c'est ma voix, et ses mots sont mes mots. Tu es théologien, tu obéis à toi-même voilà tout ! C'est toute la subjectivité ou plutôt tout l'homme intérieur marié à l'intuition vraie et vivante, c'est-à-dire à la présence de Dieu, qui fait le chrétien, il y va d'un témoignage, d'un souci vivant et permanent, d'une Présence intime, et quelquefois même d'une élévation. Mais la théologie part d'un principe qu'elle examine et approfondit, devenu un concept elle se l'approprie, elle donne bien foi à un objet, mais sa traduction permet l'obéissance de son choix ; puis elle décide de l'école, du professeur, des doctrines et des leçons, le consensus c'est là son bien qui fait son mal tout à la fois car d'une histoire d'Amour le théologien a fait une histoire de mots. Un croyant sans intuition est un homme qui produit des doctrines, ou alors il est une malheureuse victime qui s'est laissé envahir. Mais l'exigence de l'Amour c'est la rencontre, et une rencontre exige la présence d'une vie.

 L'œuvre d'une pensée

 L'invention de Luther qui a construit le protestantisme s'est trouvée dans sa manière de vociférer après les bonnes œuvres. On peut être d'accord avec le réformateur lorsqu'il enseigne que les œuvres ne font pas le salut des hommes et qu'elles doivent toutes procéder de la foi, cependant il faut remarquer que la foi de Luther ne va pas sans un catéchisme : son exégèse, tous ses articles et ses propos ont préparé cette foi, c'est toute une œuvre invisible car intellectuelle qui a construit l'édifice protestant. Mais souvent nous trouvons aussi un renoncement suffisant qui fait dire au réformateur qu'il convient au pénitent de désespérer tout à fait de lui-même, c'est donc à cet endroit que Luther exhorte l'homme à œuvrer contre lui-même, et je dis qu'en cela Luther pensait bien puisqu'il prêchait la bonne œuvre par excellence. Mais le docteur aimait trop les systèmes, et il n'hésita pas à refermer Dieu sur lui-même, à faire jouer le destin, c'est pourquoi il nous montre que la foi est un don de Dieu, que seul Dieu donne la foi, Dieu fait tout et c'est lui qui convertit les cœurs, et en plus il nous faut le comprendre dans ce sens extrême où Dieu ferait renoncer les hommes, le renoncement n'étant plus l'œuvre du renonçant. Alors on remarque que pour le théologien protestant pénitence et désespoir vont ensemble avec la foi et forment un même don de Dieu, et par cette voie on revient à l'invention luthérienne qui veut que toute l'œuvre vienne de Dieu. Mais la pensée luthérienne est à l'œuvre pour son salut et jusqu'à présent personne n'a rien dit !

 Toute cette théologie fait du renoncement divin une tragédie où la croix devient le drame que Dieu joua sur la terre, cette terre faisant son théâtre, et Jésus-Christ son masque. Selon un destin aveugle Dieu sauva quelques élus, il se laissa crucifier pour retrouver enfin une égalité éternelle, c'est un système et ça marche mais plus comique encore cela fait des disciples et du même coup de nouveaux élus. Pourtant Dieu veut le salut de tous, en Jésus-Christ il s'est renoncé pour l'amour de tous, et afin que celui qui se renonce à son tour soit sauvé. Malgré cela le protestant propose le règne d'une pensée qui ne s'est pas renoncé, il élève cette pensée en système, il écrit des livres, fait des émules, crée une école, finalement il est arrivé à poser et à imposer des siècles d'études et des années de tracas entre Dieu et ses enfants.

  Pour aimer sans mesure

 Dieu résiste aux orgueilleux, il s'oppose aux dieux, et il les juge. C'est que l'éternité et l'Amour ne supportent pas la comparaison, par rapport à sa création l'Eternel ne veut aucune distance, aucune éthique qui prendrait la mesure. L'homme qui souffre une comparaison vit en lui-même, au lieu de le rapprocher de Dieu sa présence l'éloigne à une distance infinie. Cette présence fait l'immanence où règne une raison qui ne s'est pas renoncée, et si la raison se corrige il sera permis de parler d'une conversion logique, c'est une conversion qui a fait l'économie d'un principe, une repentance qui garde une distance et une mesure. Il faut comprendre que l'homme de Dieu a renoncé à toute grandeur entre lui et le ciel, il ne se mesure plus à l'éternité Présente. Le chrétien est celui qui s'anéantit devant son Dieu, s'étant renoncé en son entier Dieu le possède tout entier.

 Dieu qui de son infinie grandeur accuse le pécheur ne le fait pas pour que le coupable souffre une comparaison, ce qui reviendrait à ennoblir l'éthique et à plonger tous les hommes dans l'inégalité religieuse, car il y aurait des parcours et des résultats de toutes sortes et en trop grand nombre, mais il le fait pour que l'homme se renonce et oublie un dieu en vertu d'une Vérité qui veut sa vie pour qu'il vive. Il s'agit pour le coupable de renoncer au dieu qu'il est devenu, d'oublier son bien et son mal, de refuser le tribunal de sa raison. Pour devenir un fils l'esprit s'anéantit lui-même, il refuse sa grandeur, il renie ce qu'il est, plus aucun homme ne le dépasse, aucun ne se trouve plus bas, aucune transcendance ni faiblesse hormis celles de Dieu ne le préoccupent. Le pénitent s'incline et Dieu enfante une nouvelle créature.

  Quête

 La théologie cherche un mot, le repentir cherche un Dieu...

 Contre les théologies

 Tout ce qui s'attache à une théologie est perdu. Toute théologie est là pour glorifier l'homme, pensant honorer Dieu elle oublie le Fils de Dieu. Croire en un Etre suprême ne suffit pas, croire de cette façon ce n'est pas aller plus haut que soi-même et c'est plus exactement poursuivre son règne. Nul ne reçoit l'Esprit de Dieu sans lui avoir fait toute la place, croire en l'Esprit sans renoncer c'est croire à la manière d'un démon, la croyance doit sortir du renoncement. Croire au Fils et ne pas l'imiter c'est vouloir être sauvé et s'épargner tout à la fois, seul un antichrist parle d'un Dieu sans sa croix. Les théologies qu'elles soient catholiques, protestantes ou bien encore évangéliques, font le règne des dieux, or Dieu veut être connu sans le moyen de la théologie. Dieu veut une rencontre et pour cela il veut être connu au travers de son Fils Jésus-Christ, ce qui veut dire par le moyen du renoncement. Comme des poésies les théologies nous occupent ailleurs, loin du renoncement ; sans parler des autres écoles que regardent un témoin de Jéhovah ou bien encore un musulman, royaumes qui veulent égarer l'homme tout entier en l'épargnant entièrement, l'hérésie prêche une éthique voilà tout. Ceux qui ont renié la croix de Dieu ont renié son Fils, en le faisant ils sont devenus les ennemis de Dieu, les meurtriers de ses enfants. Mais seule l'humilité précède la gloire !

 Justin martyr 34

 Justin abjura son mal mais conserva son bien, il épargna la raison d'un Socrate, une connaissance des Evangiles et des Ecritures pouvait se substituer à ses manquements, de cette façon le pécheur ignorant pouvait devenir un chrétien savant. Pour Justin la foi sort de la connaissance, il ne renonce jamais à ses raisons et c'est pourquoi il nous parle sans cesse de doctrines, de philosophie, d'ailleurs à propos de philosophie il changea d'école voilà tout ! Chez ce premier Père c'est la connaissance qui détermine le christianisme, c'est la leçon qui importe, il faut ouvrir les portes d'une nouvelle école ! La pénitence et la repentance ne sont que des doctrines parmi d'autres, Justin prépare le chemin du gnostique cher à Clément35, il a posé une des premières pierres de cet édifice immense qui a grandi jusqu'à nous.

 Sur Jésus-Christ il fonda une théologie au renom éternel bien que ce fut Socrate et les enfants de Socrate qui lui donnèrent son premier mouvement, car si la théologie venait des Grecs, Justin la faisait passer dans le christianisme en lui apportant l'illusion d'un fondement scripturaire et évangélique. Sa croyance tient à une pure objectivité, Dieu commence par l'autre, son mystère se trouve dans l'autre que moi, sa puissance se rapporte à cet objet devenu mystique. Que ce soit l'eau du baptême, l'invocation de la trinité ou la catéchèse, nous saisissons toujours cette puissance par notre extériorité, elle se manifeste à travers son objet. Ainsi c'est l'eau qui régénère, les mots prononcés qui opèrent, la doctrine qui sauve, et cette doctrine est une lumière qui illumine le croyant. Dans tout cela la foi se prépare, elle se pense et sort de la connaissance. Alors une nature précède l'intériorité et l'homme ne se renonce jamais, il apprend, il est une pensée qui se pense. Pour Justin le chrétien est celui qui s'est renseigné sur le christianisme et l'a mis en accord avec sa pensée et son action. Ce n'est plus le renoncement qui fait toute la place mais la leçon, Jésus-Christ devient un savant, il est une sorte de professeur, et le plus imbécile de ses enfants un maître qui s'ignore, de même que d'après ce Père on trouverait des chrétiens qui s'ignorent aussi.

 Que d'inégalité en face de l'éternité si Dieu devait se soucier de notre science ! La doctrine est vaine et nous joue même un mauvais tour puisqu'elle oublie de nous montrer le chemin qui mène à la maison de Dieu, or ce chemin s'ouvre sur les portes du renoncement.

  L'erreur logique

 Leur bêtise est de croire et de faire croire que Dieu est logique..., pourtant il y a des paradoxes. Devenant une âme vivante Dieu se fait chair, ailleurs il regrette d'avoir fait les hommes ou bien encore se repent d'une prophétie, enfin nous le trouvons sur la croix renonçant à lui-même, à son règne et à ses pouvoirs. Oublier les paradoxes s'est oublier que Dieu est Dieu, et qu'il a une personnalité ; puisque Dieu a un caractère et des passions son Esprit peut se réjouir mais encore s'attrister. De plus nous trouvons beaucoup d'obscurité dans les Ecritures, il y a tant d'années entre chaque livre, des générations parfois, nous connaissons un Evangile comme les courts instants d'une histoire immense, tous les témoins d'une seule histoire ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Saint Paul par exemple laisse dans l'ombre beaucoup de raisons, de difficultés et d'événements qui l'ont appelé à écrire, des épisodes nous manquent, souvent un contexte nous est caché, alors vouloir bâtir après tout cela des écoles et des systèmes c'est ce que je n'oserai faire.

 Dieu ne pouvant mentir ni se contredire la perfection divine a produit le postulat d'un Dieu théologique car logique en lui-même, et il en fut de même pour la perfection apostolique, en bref le théologien veut bénéficier d'un regard divin, et s'il ne le trouve pas jusque dans ce monde au présent il espère l'avoir pour le monde à venir. Mais c'est un Dieu qui existe et des hommes qui existent tous autant qui ont déterminé les Ecritures, les évènements et les témoignages que contiennent les livres saints. Or la théologie fige les existences, elle les rend logiques, et ainsi elle construit des systèmes. Le théologien se met à une distance de la divinité, il ignore son caractère, il rejette sa perfection dans le passé, et il le fait afin de régner et de dominer, afin de se donner le regard de Dieu. La théologie réduit l'existence religieuse à l'histoire qu'elle trouve dans les livres, cette existence au présent n'a plus d'importance puisque finalement elle est déterminée par un Dieu qui ne se trouve plus que dans le passé.

 C'est pourquoi il convient de prêcher la présence de Dieu pour aujourd'hui et pour demain, sa puissance n'est pas anéantie, sa Parole ne s'est pas tue, et c'est pourquoi il convient encore de s'opposer à la fermeture du canon, car à en croire les théologiens les premiers témoins auraient tout dit. Comme si aujourd'hui les enfants de Dieu n'avaient aucune parole à prononcer, aucun mot à accorder ! On a bien compris que d'après cette école le pasteur a tout dit, le théologien a tout expliqué, mais c'est pourtant sous un même Regard, sous une même Existence, que nous vivons encore aujourd'hui.

 L'Esprit et la lettre

 C'est un consensus qui arrêta le canon à quelques livres et surtout à un siècle précis. Pour arrêter un nombre et une date il y va d'une objectivité qui se dérobe à l'Esprit et à l'éternité, l'homme intérieur est pris en vain, l'homme qui vit par la foi ne dit plus rien, il se tait. La Révélation de saint Jean a eu de la chance, elle échappa de justesse à la décision sans appel de ces Pères d'autrefois !

 La théologie du canon est en fait possible là où la foi manque, c'est le manque de foi qui arrête la lettre et l'Esprit. L'homme veut un ciel qui a tout dit, il veut un apôtre qui a tout écrit et un Dieu qui a tout prédestiné ; suite à tout cela un chrétien pourra se consacrer à ses études, il se contentera de faire le savant, en somme il commentera les Ecritures en forçant une présence toute spirituelle pour ne pas paraître suspect, et la logique et la science forceront suffisamment nos prières et nos méditations.

 Et si un prophète se levait, et si parmi nous il le faisait aujourd'hui ! Eh bien, le pauvre homme de Dieu ne serait pas pris au sérieux, d'ailleurs en vertu du canon passé il passerait pour un sacré menteur ! Aussi la théologie connaît-elle un autre mal, celui d'avoir ignoré tous les prophètes qui ont vécu depuis les premiers Pères jusqu'à nous, car un silence de presque deux mille ans a suivi la Révélation de saint Jean ! Annoncer la fin du canon c'est proprement annoncer et prêcher la fermeture des cieux, à partir de là le théologien peut commencer. Le canon fut arrêté alors le ciel s'est tu. La théologie a enfermé le prophète dans le silence afin de ne plus entendre sa voix. Mais la vraie religion veut entendre la voix du Dieu qui vit éternellement, du Dieu qui vit encore aujourd'hui et qui donne toujours de son Esprit à celui qui lui fait de la place !

 L'homme intérieur connaît la Parole de Dieu, et il la connaît parce que Dieu parle dans son temple. Là où il y a un enfant de Dieu se trouve un temple, et là où il y aura un temple tu rencontreras encore la prophétie et la vérité.

  La chair et le sang

 Nous sommes des dieux, mais tu es un dieu d'après le pouvoir de l'éthique seulement, aussi est-il écrit : " Vous serez comme des dieux, connaissant (ginw&skontej) le bien et le mal36 ." La chair est encore là, et elle nous rappelle que notre corps est toujours présent, mais de la même manière Adam vit qu'il était nu. Dans le récit de la Genèse Adam n'est pas encore devenu ce dieu suffisant, non pas qu'il lui manquât quelque chose pour le devenir, mais parce qu'il avait quelque chose de trop, une sorte de pesanteur qui le trahissait et le retenait loin des dieux. Et elle avait un poids d'importance : la chair et le sang étaient de trop, aussi Adam se vêtit pour se cacher loin de Dieu. Le premier mouvement de pensée dénonça la nudité, ce toit qui l'empêchait d'aller plus haut, et ce fut un premier pas dans la connaissance de soi, dans l'éthique.C'est pourquoi il est encore écrit : " Ils connurent (e1gnwsan) qu'ils étaient nus 37."

 Les hommes veulent être des dieux, et ils voudraient encore se passer de la chair et du sang, voilà pourquoi la résurrection soulève tant de difficultés parmi nous. Ils ne veulent aucune limite, aucun repentir, c'est que la chair oblige à une certaine contenance, et c'est pourquoi le fantôme grec est toujours d'actualité.

 Le Grec rêvait d'être un dieu, une âme sans corps en quelque sorte. Aussi ne pouvait-il supporter la pensée d'une seule résurrection, celle d'un Dieu qui devint chair et sang, et qui une fois mort se vit ressusciter dans ses mêmes qualités de chair et de sang. C'est trop de renoncement pour un seul Dieu, et les hommes courent ailleurs, ils poursuivent leur chemin et ouvrent des écoles pour vivre loin de Dieu sous leur chair et leur sang.

 Mais Dieu renonça à lui-même pour se faire homme, et plus encore il ressuscita homme pour l'éternité, son renoncement est frappé d'un sceau éternel. Et ce renoncement juge de tout et de tous, ce qui veut dire que nous serons jugés par un seul homme, Jésus-Christ.

  Le pain du ciel

 De même qu'un homme tout entier sera plongé dans les eaux du baptême, c'est l'homme tout entier qui se renoncera. L'eau du baptême regarde la mort à soi-même, l'eau comme l'Esprit lave entièrement.

 Jésus-Christ est la croix de Dieu, et c'est pourquoi le Fils de Dieu fut baptisé le premier, car le premier il renonça à lui-même, et se poussant lui-même de son infinie hauteur il se livra tout entier ; il nous aima le premier, et tu renoncerais en vain si jamais il ne s'était renoncé le premier. Aussi pour vivre il te faudra manger le pain qui vient du ciel, car pour la vie du monde le Fils de Dieu s'est fait chair. Son renoncement l'amena à mourir sur une croix, l'œuvre parfaite s'acheva enfin, le troisième jour il ressuscita d'entre les morts. Voilà pourquoi celui-là seul qui mange la chair et qui boit le sang du fils de l'homme aura la vie éternelle, car lui seul s'est renoncé à son tour, et lui seul a fait l'œuvre de Dieu.

 Tu célèbres le repas du Seigneur et tu fais bien, car si tu le fais c'est que tu es au nombre des enfants de Dieu, tu es devenu un fils, tu n'es plus un dieu mais un homme. En le faisant tu annonces encore la croix de Dieu et la mort du Seigneur, ce renoncement qui est la seule bonne œuvre, une oeuvre irréprochable et parfaite.

La théologie de Luther

 Il est certain que la loi de Dieu nous montre ce que nous devons accomplir, mais que dévoilant notre impuissance à cause du péché, du bien et du mal dans l'éthique, elle nous montre encore que nous ne pouvons rien faire pour la réaliser, c'est pourquoi nous avons besoin de la grâce. Mais de là à suivre Luther dans une logique du " tout à Dieu " il serait mieux de se recueillir pour méditer le renoncement auquel Dieu nous invite chacun, plutôt que de faire fausse route avec un réformateur qui a réformé l'homme au point de le nier en entier.

 Nier une volonté c'est nier une existence, refuser la part de l'homme c'est refuser la part de Dieu, et dire que Dieu ferait tout dans le sens où c'est lui qui convertirait les hommes comme il l'entend ou les ferait agir comme il le veut, serait la même chose que de prêcher un évangile paresseux qui se refuserait à la réalité du sixième jour comme à celle du septième, puisque le repos vient après le travail. Mais la paresse a gagné les églises, un évangile facile et artiste s'est installé enfin, le pasteur est devenu un jouisseur qui explique sa réussite mondaine au paroissien qui semble dépassé par les évènements, surtout par ceux qui sont d'ordre spirituel. En fait la plupart s'en moque, et à force de se moquer de Dieu et de prêcher les vertus de la paresse avec son repos éternel nous voyons un tas de chrétiens remplis de charismes sombrer dans une dépression imbécile et moderne ; voilà pour l'échec évangélique, luthérien ou encore protestant ! C'est qu'à la longue tous nos enfants vont se marier derrière notre dos !

 En suivant une logique qui donne tout à Dieu Luther a occulté la vraie religion et n'a finalement réformé que l'institution, ou l'ordre politique et séculier si l'on préfère. La pensée a ses limites, et c'est pourquoi Luther fut obligé, pour sauver une prescience absolue, de recourir alors à une volonté soi-disant cachée de Dieu qui aurait dominé la volonté révélée du même Dieu 38 ; ainsi nous comprenons que cette logique aboutira à une théologie du " jusqu'à un certain point ". Luther postule un Dieu inconnu pour sauver sa pensée qu'il veut à tout prix prêter à cet autre Dieu qui lui s'est révélé dans le renoncement, or celui qui est caché ne s'est jamais renoncé, et c'est ici que nous touchons l'endroit où les protestants se sont si souvent égarés pour ne pas dire toujours. Le protestant se place du point de vue d'un Dieu qui donne et oublie l'homme qui, dans un renoncement commun, le reçoit. Le protestant s'arrange, il prend la meilleure place, il est comme un dieu, il règne enfin et il est heureux !

 D'accord avec Luther que sans la grâce de Dieu notre libre-arbitre se ferme aux choses du ciel, mais de là à le nier complètement s'est oublier que Jésus-Christ nous prête son propre renoncement afin que celui qui se renonce ait la vie éternelle. Tout homme qui s'approche de Dieu par le renoncement le connaît et connaît son Fils, cet homme a l'Esprit du Dieu vivant. L'homme a sa part de travail, et ce travail s'opère par un renoncement véritable, celui de Jésus-Christ, ce qui veut dire par la mort à soi-même. C'est pourquoi le devoir chrétien se précède du renoncement et de la croix qui accordent le pouvoir chrétien, l'œuvre contre soi-même est la seule qui conduise aux choses du ciel et au ciel lui-même.

 Que l'homme renonce donc à sa propre présence, pour vivre dans la Présence de Dieu ! Ou alors qu'il renonce à Dieu, pour se maintenir seul présent ! Mais, dans ce dernier cas, le jour du regret se passant de l'Esprit de Dieu, la vie de l'homme deviendra un enfer. L'enfer, le lieu du regret éternel, ce lieu où Dieu manque.

  L'animal politique

 Le mal s'accroît de jour en jour, et à quoi bon croire nos politiciens, toutes les réglementations, toutes les lois sont là pour bien présenter ! On habille ce monde mauvais du mieux possible ...Un homme ne pense qu'à s'enrichir, et pour cela il se moque de faire le malheur d'autrui. L'Occident a sa puanteur ! Il n'est plus qu'une vaste entreprise où jouent l'artiste , l' admirateur, le patron et l'ouvrier. On change les lois sans changer les cœurs, voilà pourquoi les clefs de ce monde appartiennent aux méchants et aux escrocs !

 Nos lois sont sans force, elles habillent l'éthique voilà tout. Seul un prophète serait juste et jugerait avec droiture, c'est qu'il aurait l'éternité de son côté. Mais au rythme où bat ce monde, entre les pouvoirs qui prennent leurs lois pour des vérités et leurs jugements pour des prédictions, et puis ce peuple qui confond l'art et le vrai, le jeu et la vie, nous autres chrétiens pourrons bientôt écrire de bonnes apologies ! Pourtant le monde qu'ils ont conçu ne sera pas éternel, mais les humanismes restent sourds à une vérité qui elle regarde l'éternité. Notre siècle en cache peut-être un autre, les civilisations passent mais les hommes règnent. Aujourd'hui l'humaniste est ce croyant débile qui du haut de lui-même prend le passé et le futur pour son présent, pour lui tout est immanent, il n'y a pas de saut, il n'y a pas de rupture vraie, et si alors il lui semble en être autrement il attribuera cela à des fictions ou d'autres phantasmes. Il faut bien que l'homme moderne ait son heure de règne et de culture !

 A l'heure de la mondialisation il nous faut comprendre que c'est seulement en Jésus-Christ qu'il n'y a plus ni Juif ni Grec 39, mais les politiques ont mis le renoncement entre parenthèses pour concevoir un monde qui se passe de Jésus-Christ, du ciel et de l'éternité qui vont avec. Tout ce monde cache un fond de cruauté, et par-delà les institutions, les synodes et les parlements, on trouve une méchanceté qui s'accroît. Les causes du mal ne sont point sociales, elles ne sont pas politiques, ni même psychologiques, il ne faut pas les chercher dans la chair et le sang. En effet la cause du mal c'est l'homme entier, il est ce mal personnifié, ce mal c'est l'homme-éthique ou l'homme sans Dieu. Mais la raison politique aime à chercher d'autres raisons, et à leur tour ces raisons expliquent une volonté et ses jugements. En bref, un monde à l'envers, car mieux aurait valu le contraire...et mieux encore un monde que gouverneraient des femmes, on y trouverait beaucoup moins de misère humaine et matérielle. Pourtant le meilleur des mondes sera connu de ceux-là seuls qui auront renoncé tant à leurs raisons qu'à leurs propres vies, ceux-là seuls seront les fils du Dieu vivant.

 Un caractère éternel

 Le théologien reste l'ami du destin, il croit au destin, il ne connaît pas Dieu mais le sens qu'il lui prête. Aussi après la prédication propre au destin les hommes se convertissent à un évangile paresseux, c'est que l'on aime porter les clefs du ciel pour les distribuer sans s'être introduit soi-même dans les cieux par un renoncement préalable.

 Avant de connaître Dieu je croyais au destin, une sorte de christianisme prêché par mon entourage, ma famille et l'éducation. Mais à l'image des églises et des catéchismes cette conversion fut toute logique, et j'en étais prisonnier. Je cherchais la liberté, voilà pourquoi je préférais vivre selon ce monde, et selon une existence misérable, aussi je reniais mon catéchisme pour vivre selon ma pensée. Mais je m'évadais d'une prison pour en retrouver une autre, dans tout cela je restais prisonnier de ma propre personne. On aime la servitude, on aime son règne et on s'arrange avec ! Malgré cela Dieu m'accusa, il me chercha et je renonçai enfin... Aussi je crois à la liberté des fils de Dieu, je crois en un Dieu libre, et à une Eglise selon son image ! Mais un souci me fait écrire..., je n'écris pas pour plaire.

 La théologie a créé une religion du destin, les premiers Pères ont enfermé le christianisme dans un système, et depuis le système perdure avec ses hauts et ses bas, son bien et son mal, c'est depuis que le christianisme se pense dans les limites de la logique et de l'éthique. Connaître Dieu selon l'éthique et croire en ce Dieu logique, c'est avoir du même coup aboli le caractère divin et l'avoir dépouillé de sa personne. Après la logique il ne reste plus qu'un Dieu égal à lui-même dans ce sens qu'il se retrouve sans caractère et privé d'une personnalité, il ne reste qu'une sorte de programme éternel, un destin nuisible et meurtrier de la plupart des hommes. Mais seule la liberté qui vient du renoncement donne la vie, et elle donne cette vie parce qu'un Dieu éternel et libre s'est prononcé le premier dans ce renoncement. Il a renoncé le premier, il nous a aimés le premier !


LIVRE V


  L'œuvre de la foi

 Parce que la croyance et la pénitence vont ensemble, celui qui croit selon l'Esprit de Dieu se renonce tout à la fois. La pénitence c'est l'œuvre de la foi au même instant, une œuvre il est vrai mais une œuvre contre soi-même. L'œuvre de la foi ne regarde pas une correction éthique ni même sa réduction, modifier les frontières d'une éthique n'amène pas encore la vraie religion ; non, puisque l'œuvre agréable à Dieu regarde la disparition pure et simple de l'éthique ! L'anéantissement total de l'éthique et de ses vertus devant la présence de Dieu détermine la vraie religion et la vraie croyance, ainsi et de cette manière nous gagnons la pensée de Dieu et nous devenons les fils de Dieu.

 Celui qui croit dira au même moment : " Je suis un pécheur, c'est vrai ! " Le croyant crucifie sa raison, il renonce à ses pensées, il se moque de ses vertus, il a renié une immanence afin de gagner la pensée de Dieu, pensée qui se donne dans l'obéissance. En fait, chez le chrétien, la foi est toujours à l'œuvre, si bien que c'est l'œuvre qui détermine l'existence de la vraie foi. L'œuvre voudrait être pour toi et non contre toi : mais dans ce cas, que tu aies cru en ceci plutôt qu'en cela, en Dieu plutôt qu'au diable, tu ne vas pas plus loin qu'un autre qui pense autrement, tu t'illusionnes toi-même, tu te joues un mauvais tour, en fait tu t'arranges, tu marchandes avec l'éternité toujours présente, et ta foi est stérile dans ce sens que son action te grandit au lieu de t'anéantir. Si ton existence n'entre pas en jeu dans le sens de l'humiliation et donc de la croix ta foi est vaine, car seul celui qui perd sa vie la retrouvera. Sans le renoncement ta foi n'est qu'une passion, mais selon Dieu le croyant est un renonçant.

 Aussi fut-il logique que suivant son système et le sens de sa théologie Martin Luther se joua de l'épître de Jacques 40, il ôtait l'œuvre à la foi car il croyait en l'œuvre paresseuse du destin. Tous ces protestants ont cru en l'évangile de saint Augustin, voilà tout ! Mais ils croyaient en faisant abstraction de l'œuvre de leur propre pensée, et cela n'a alerté personne ! De ce point de vue il serait permis de se demander si Hegel ne fut pas le seul protestant honnête envers lui-même et avec nous autres, car au moins un philosophe qui se connaissait ne refusa pas d'expliquer et d'étaler sa pensée, et elle fut si grosse que ses œuvres, celles de sa pensée, furent manifestes, si bien qu'elles couronnent en quelque sorte toute l'éthique protestante.

 Mais celui qui s'arrange avec un système ou une théologie épargne sa pensée, son raisonnement même dans ses corrections est toujours vivant. Croire au destin, croire aux saints ou aux papes, croire aux leçons reçues par le plus grand nombre ou bien encore au système d'un seul, eh bien ! tout cela ne fait pas croire en Dieu pour autant. Or, le seul Dieu que je connais, c'est celui qui par amour pour tous les hommes s'est renoncé de Lui-même. Ce Dieu ne crée pas des subtilités, Dieu Aime!

  Correction éthique

 Un problème se pose lorsque nous cherchons à progresser dans l'éthique de façon à ce que cette correction jointe à la foi produise le christianisme, alors qu'il faudrait pour cela renoncer à toute éthique, c'est que la correction n'apporte que le paraître chrétien, un masque religieux en quelque sorte. De la correction résulte une comédie chrétienne. L'homme demeure dans son immanence, une immanence améliorée loin de tout renoncement, et de cette manière il adore le dieu que sa pensée conçoit, et qu'il s'imagine d'accord avec elle. Cette accord est une sorte d'arrangement, c'est comme un contrat que l'on propose à l'éternité, où l'homme est l'employeur et Dieu la nouvelle recrue, et pourvu que Dieu participe à nos entreprises et que l'on y trouve du bénéfice ! De toute manière le christianisme en est arrivé à ce point qu'il n'intéresse que pour ce qu'il rapporte en bonheur et en assurance. Mais loin du renoncement la présence de l'homme précède la présence de Dieu, c'est l'homme qui a l'initiative sur Dieu, c'est-à-dire que Dieu vient après la correction, c'est l'éthique qui met une distance et qui donne la condition, mais cette correction n'a aucun pouvoir sur le seul Dieu vivant et c'est pourquoi elle conclut au dieu qu'elle conçoit, au dieu théologique.

 Seul le renonçant a la pensée du Christ, et il connaît Dieu parce qu'il sait qu'en son Fils Jésus-Christ Dieu s'est renoncé le premier. L'homme cherche Dieu parce que Dieu l'appelle, en fait Dieu le cherchait déjà : Dieu nous appelle et il l'a fait à partir du premier homme, Dieu nous appelle depuis Eden ; et le seul fait que Dieu s'adresse encore à Adam après la désobéissance, qu'il l'accuse sans lui refuser sa vie, car il le juge mais l'habille aussi de sa présence, eh bien, ce seul fait montre déjà la croix de Dieu et son renoncement ! Ainsi voyons-nous l'Agneau qui fut égorgé dès la fondation du monde 41. Au contraire celui qui se corrige n'a pas la pensée du Christ, il ne connaît pas Dieu, il lui manque le repentir, sans renoncement il se passe du saut qui entraîne la présence de Dieu, et c'est un saut dans l'absolu qu'il lui faudrait ! Mais il est inutile pour cela d'imiter tous ces hommes qui s'arrachent un morceau du Christ, qui font un chemin de croix, ou qui restent admiratifs devant un crucifié pensant être ainsi au bénéfice de sa résurrection, car là encore nous sommes dans la correction, dans le perfectionnement religieux et le paraître chrétien. C'est pourquoi tu verras Dieu si tu renonces à toi-même, si tu portes ta croix, si tu le suis dans ton renoncement, c'est tes larmes et ton désespoir qui peuvent opérer. Chaque homme a une croix car Dieu appelle chaque homme à la repentance, que les hommes s'en saisissent afin de connaître Dieu et son Fils Jésus-Christ !

  Résurrection

 Christ est ressuscité ! Alors Christ est vainqueur, en lui Dieu s'est entièrement renoncé. Aussi on voit que le Dieu prêché et caché de Luther ne fait plus d'ombre au Dieu révélé des Evangiles, le Dieu de Luther tombe de lui-même. La Réforme apporta une correction de plus à l'histoire voilà tout ! Depuis les protestants ont fait école, ils ont leur pensée, leur théologie, leur dieu tout en musique et en couleur, un dieu artiste en quelque sorte. Chaque secte chrétienne s'est attribué un morceau du Christ afin de se soustraire au renoncement que doit réaliser chaque individu pour plaire à Dieu, de cette manière le renoncement d'un seul sauverait tous ceux qui loin d'avoir désespéré d'eux-mêmes se seraient au contraire corrigés, la connaissance socratique grossit et en un seul mouvement de pensée un homme est sauvé.

 Mais il faut voir un Christ entier pour un Dieu entier, ainsi je vois un renoncement entier et parfait. Christ est ressuscité ! Dieu ne veut plus être Dieu, et en vertu de ce renoncement l'homme qui renoncera à son tour sera sauvé. Mais les hommes veulent être des dieux, et c'est pourquoi l'intelligence des théologiens a voulu conserver un Dieu intouchable ou une part de Dieu qui ne connaîtrait aucun renoncement. C'est de ce mensonge qu'est née la théologie chrétienne, et dans cette distance qui est mise entre la créature et le créateur on trouve toute une éthique à l'œuvre, celle des théologiens et autres philosophes. La résurrection nous montre un Dieu entier et complet, un Dieu d'accord avec son renoncement, un Dieu qui s'est renoncé et dans lequel aucun autre Dieu ne se cache ou ne se laisse deviner.

 Conjecture et Logos

 Les hommes aiment à se faire passer pour des dieux, mais ils jouent aux dieux parce qu'ils sont des dieux pour de bon, et ils le sont sous leur propre chair. En conséquence ce n'est pas parce qu'une pensée quelconque se retrouve dans la Parole de Dieu qu'il nous faut faire de son auteur un chrétien qui s'ignore, il faut plutôt discerner et juger ce qui fait l'apparence d'une vérité de ce qui en fait la puissance et la force. La difficulté vient de ce que le fond de l'homme, son immanence, puisse conjecturer une vérité éternelle, une vérité qui sort de la bouche de Dieu, mais nous le savons l'homme aussi est une sorte de dieu.

 Depuis les premiers Pères les théologiens aiment à dire que quelques hommes illustres, d'hier comme d'aujourd'hui, auraient participé à la vraie religion en contribuant encore à son essor, et cela à cause d'un livre, d'un rôle ou d'une chanson, et pourtant je préfère n'y voir que de simples conjectures, car en jugeant l'homme à ses œuvres on comprendra que le plus souvent l'écrivain à succès, le philosophe et l'acteur, ne sont point des hommes qui renoncent. Ils construisent un monde sur l'éthique voilà tout, un monde qui ressemble au notre c'est vrai, mais un autre monde quand même, et c'est encore ce monde d'ici-bas : l'éthique, le bien et le mal, la misère et l'argent, la passion et son pathos. Aussi lorsque saint Paul cite des paroles profanes il le fait sans pour autant béatifier leurs auteurs, mais de toute façon la rareté de cet usage dans les Evangiles contredit la prolixité des premiers Pères jusqu'à nous aux mêmes endroits.

 Les hommes veulent les fruits de la croix tout en se passant de cette croix, ils veulent un bénéfice éternel mais d'un autre côté ils font l'économie de leur pensée. Alors ils vont aux cieux sans renoncer à la terre, ce sont des voleurs et des brigands, des loups et des faux docteurs ! Mais la puissance de la vérité se trouve dans le renoncement, et c'est au-delà du bien et du mal que Dieu te trouvera et te rencontrera !

 Des trésors de l'église

 Journal : de décembre à janvier...

 Pourquoi faire d'une histoire d'Amour une histoire de mots ? Et pire que ça encore une histoire d'argent ? En fait je commence bien l'année, et je la commence avec mon principal souci !

 Qu'ils soient de Rome, qu'ils se rattachent à Luther ou bien à un autre, peu importe rien ne me fera changer d'avis, c'est le train de vie de la plupart qui me désespère. Tout ce gâchis vient des hommes, ils ont édifié leur monde sur une croix, ils ont bâti leur empire sur le sang de Dieu. Il fallait que la politique intéresse le christianisme, il fallait que le professeur intrigue le fidèle, et le prophète est devenu un maître, puis le fidèle son élève, depuis le théologien négocie son salaire. Nous sommes ici encore dans l'éthique, la croix n'est là que pour bien présenter tous ces escrocs et ces paresseux qui font de l'or et des affaires sur le dos du Christ, Dieu est vivant et c'est pourquoi cette liturgie est un blasphème. Une Parole toute nue et sans artifices, une Parole vivante et prophétique, ne peut se vendre si on ne l'habille de musiques et de couleurs, d'explications et de difficultés de toutes sortes. Pour un gain profitable et les honneurs qu'ils rapportent aussi nous avons vu paraître les nouveaux marchands du temple, artistes et commerçants prêchent une nouvelle théologie.

 Ce sont tous ces gens-là qui aiment à regarder un crucifié, qui chantent le sang et les souffrances du Maître, sans repentir ni renoncement ils osent profiter de l'Amour d'un Dieu en sang. Pour ce faire il nous fallait l'histoire et la théologie qui l'accompagne, il fallait rejeter Dieu dans le passé pour l'oublier dans le présent. Mais c'est aujourd'hui, ici et maintenant, qu'il te demande de renoncer à toi-même ! Pourtant ils préfèrent chanter loin de Dieu ! Mais chanter parce que Dieu règne est le propre de la vraie louange, et celui qui chante ainsi fait bien car ce règne regarde encore le présent dans l'enfant de Dieu. Aussi que celui qui chante le fasse en contemplant la Vie dans la mort, qu'il chante le Règne dans le sang, qu'il chante Dieu au présent, qu'il chante un renoncement éternel !

 Le premier croyant

 Jésus-Christ croit en l'homme, à son devenir chrétien. C'est pourquoi sur la croix il s'est séparé de Dieu, du Dieu qu'il était éternellement, et cela afin de nous réconcilier avec lui et avec l'éternité retrouvée, avec le Dieu qui l'aima, l'abandonna et le ressuscita d'entre les morts. Dieu croit en l'homme, c'est cette foi qui engage sa fidélité, Dieu croit en l'homme, c'est cette foi qui aime notre liberté, Dieu croit en l'homme de même que le chrétien croit en Dieu. Et je ne parle pas de la croyance que nous imposerait un phénomène, ni de celle que la pensée aurait conçue pour obliger le plus grand nombre, car tout cela regarderait la croyance d'un démon. Mais je parle d'une vraie croyance, de celle qui va avec le renoncement, car c'est un renoncement qui engage l'Amour de l'autre. Ainsi nous comprenons que Dieu croit en l'homme et que le chrétien croit en Dieu, nous le saisissons par l'Amour.

 Dieu est fidèle (pisto_j) alors il est le premier croyant. C'est le renoncement qui décide la rupture pour l'après, suite au renoncement l'humain devient chrétien. Ce christianisme vient après l'immanence, après y avoir renoncé, de même que Jésus-Christ vient après la transcendance, par un renoncement que regarde toute sa vie, toute son existence, de sa naissance à sa mort sur la croix. Jésus-Christ vient après Dieu, et le chrétien vient après le dieu ; après l'homme-dieu le chrétien est un homme, entre Jésus-Christ et ce chrétien il n'y a pas de distance.

 Parenthèse

 J'arrive à la fin de mon dessein, ce que j'ai écrit au sujet de la théologie et des théologiens un autre pouvait le faire, mais il faut que cela se fasse. Ma critique de la religion et de la théologie se fonde sur une critique de l'éthique : par le moyen de l'éthique le christianisme fut noyé dans la théologie. Mais pourquoi accuser l'éthique avant tout ? Parce que c'est la seule réponse à cette réalité qui dit que celui qui pense le bien et fait le bien, mais le vit sans Dieu et hors de Dieu, se retrouve malgré tout perdu pour l'éternité. L'éthique fait l'homme-dieu, et cet homme peut se connaître ou se reconnaître dans le christianisme des théologiens.

  Le désastre théologique

 Le christianisme des premiers Pères jusqu'à nous s'est construit suivant la connaissance d'un Socrate, la théologie a édifié un semblant de christianisme par le biais de la dialectique et des sciences humaines, ce christianisme connaît une éthique si grosse, si longue et des écoles si nombreuses, qu'il ne peut aujourd'hui prononcer aucune parole certaine et vraie. Le théologien ne sera jamais un prophète, voilà pourquoi il explique la prophétie. Le théologien ne connaît pas les oracles car il ne saisit pas un prophète par l'existence. Notre théologien ne se prononce pas, il est oui et non ; comme tous ces pasteurs qu'il instruit il reste le plus souvent dans le vague et l'incertain, il est d'accord avec le monde à cet endroit pour se retrouver en désaccord avec lui un peu plus loin, en fait il veut faire plaisir, ou alors il veut bénéficier des avantages qu'apporte une croix tout en suivant une pensée, ou une éthique, qui elle est bien de ce monde.

 Le christianisme des théologiens s'est en fait construit sur un ramassis de doctrines et de leçons toutes faites, qu'elle soit protestante ou romaine chaque école a son catéchisme, et ce catéchisme bien assimilé fera le chrétien et son baptême. Mais le salut n'est pas le fruit d'une leçon que l'on enseigne, le salut n'est pas une doctrine, il ne vient pas des Ecritures (Jean 5 : 39), il est le seul fruit d'un renoncement vrai, le salut doit se vivre, le salut vient du Dieu vivant. Jésus-Christ n'a pas choisi ses disciples parmi les savants et les docteurs qui l'entouraient (Jean 7 : 15 ), et certainement que le pharisien était le plus exercé des théologiens. Pour ce que nous pouvons en savoir les enfants des apôtres ne devinrent pas apôtres à leur tour, par contre nous pourrons facilement imaginer que du pharisien puisse naître un pharisien. Or le théologien d'aujourd'hui fait de même que le pharisien d'antan, il engendre le théologien, ainsi nous voyons encore le pasteur engendrer un pasteur, et le chrétien engendrer à son tour un chrétien, il y en a même qui vinrent au Christ avant l'âge de raison, c'est-à-dire avant l'éthique, une bonne raison pour se passer encore du renoncement.

 Maintenant le théologien crucifie à nouveau, il croit mais à la manière d'un démon. Il faut comprendre que le prophète n'engendre pas forcément un prophète et que seul le renoncement le peut, mais à quoi bon s'étendre sur un tel désastre ? La théologie a tué la prophétie, le théologien a tué le prophète, mais malgré ces apparences Dieu est vivant, il souhaite le salut de tous les hommes et les appelle encore à se repentir pour gagner sa Présence, il appelle l'homme simple comme le savant. Cependant l'homme simple aura certainement moins de trésors à exhiber qu'un théologien, en quelque sorte son éthique ne grossit pas, son fardeau est plus léger, le royaume de Dieu est presque à sa porte, il a moins de misère à cacher, moins de conscience à renier. Le théologien a un cœur plus dur, une connaissance étendue qui équivaut à une distance infinie, il est loin d'un renoncement, loin de Jésus-Christ, mais Dieu l'appelle aussi.

 Fils de l'homme

 Si du haut d'une scène Dieu exhortait les hommes à se repentir pour leur salut, alors vraiment il s'exprimerait d'une manière confuse qui le placerait en dehors d'un amour vrai ! A quoi bon renoncer, puisque selon cet exemple Dieu qui est aussi le modèle reste Dieu ? En effet, Dieu garde sa place, je renonce à moi-même mais je suis toujours perdu, Dieu demeure dans les cieux, il est assis sur son trône, il règne; mais moi je demeure dans mon péché, avec ou sans repentance je suis perdu de toute manière. Par contre si Dieu descendait de la scène, si Dieu retirait ses parures pour revêtir ma chair et mon sang pour me parler face à face, alors oui son amour serait vrai, et je pourrais croire qu'en vertu de ma repentance je serais sauvé ! Alors si je renonce Dieu me sauvera, mais seulement s'il me parle en descendant vers moi. Mais en réalité Dieu est allé beaucoup plus loin que tout cela, car Dieu est descendu en dessous de nous, il est né parmi nous, il s'est laissé tuer pour nous, Fils de Dieu il est devenu fils de l'homme. Aussi puis-je croire qu'en vertu du renoncement demandé je serai sauvé. C'est l'éternité qui s'est fait temps, et qui ensuite s'est anéantie dans la mort. Dieu aime, et il aima au point de renoncer à son éternité toujours présente. Dieu aime jusqu'à la mort, voilà pourquoi par-delà une mort commune celui qui s'est renoncé retrouvera la vie dans une résurrection pour la Vie.

 A son tour le chrétien qui prêche descend de la scène, il ne s'embarrasse pas de musiques et de couleurs, il ne joue pas une comédie. Il témoigne, et son témoignage est simple mais remarquable tout à la fois : il est chrétien parce qu'il croit que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, il croit au renoncement éternel qui donne la vie éternelle à tout homme qui se repent de lui-même ! Mais l'homme veut une place de dieu, il veut la scène, déjà Dieu disait aux hommes d'alors : " Vous êtes des dieux 42 ! " Aussi leur montra-t-il le chemin du salut, et il le trouva en lui-même, c'est-à-dire en Jésus-Christ, ce Jésus qui fut crucifié non en qualité de Dieu, pas même comme un roi, mais comme un seul homme. Et parce que Dieu renonça à Lui-même c'est aujourd'hui à toi de renoncer !

 Fils de Dieu

 L'esclave cache un maître, chaque homme est un dieu, l'élève cherche un professeur, le citoyen rêve d'un roi, aussi parmi les hommes il vaudra mieux servir une religion qui en impose, et croire en un Dieu qui se définit selon l'éthique c'est-à-dire par rapport à l'homme.

 La théologie y aidant, le christianisme c'est à son tour égaré dans le sensationnel et dans les mystères. La pensée créa un Dieu à son image qui se comprenait dans l'éthique, le bien et le mal, puis un consensus misa tout sur cette nouvelle divinité. Ce Dieu englobant fut un Dieu dont le fils ne représentait qu'une tierce partie ou un moment de son éternité, suite aux théologies de toutes sortes un nouveau christianisme était né, et ce ne fut un christianisme qu'en apparence.

 Or, seul celui qui croit au Fils de Dieu est chrétien, seul celui qui croit que Jésus-Christ est le Fils de Dieu sera sauvé, croire sans le Fils ou à un moment qui s'en passerait c'est faire l'œuvre d'un trafiquant et non d'un chrétien. Croire en un Dieu sans croix, sans Fils, croire à un principe ou à un Etre suprême, croire à une toute-puissance que rien n'émeut et que rien ne blesse, eh bien, faire cela c'est croire à la manière d'un démon !

 En Jésus-Christ c'est Dieu qui fut entièrement homme, qui fut crucifié et qui ressuscita d'entre les morts, et parce que Dieu est d'accord avec son propre renoncement il est d'accord avec celui des hommes. D'accord avec son propre Fils, Dieu est d'accord avec le pénitent, et avec le renonçant, c'est-à-dire avec celui qui se repent et désespère tout à fait de lui-même.

  L'Eglise en ruine

 On le sait le Seigneur viendra comme un voleur, nul ne connaît le jour ni l'heure ! Alors, suite à ce savoir à quoi cela sert-il de faire le théologien ? A quoi bon s'occuper de savanteries ? Pourquoi user de spéculations ? Il est vain de nombrer les doctrines, il est vain de parodier l'Evangile, il est inutile d'adopter un catéchisme, et encore plus insensé de faire du christianisme une comédie, un théâtre ou encore un spectacle. En Jésus-Christ le Royaume de Dieu s'est approché de nous, et il s'approche de nous aujourd'hui encore, aussi y a-t-il urgence, et ce qui importe c'est de recevoir ce Royaume dans son homme intérieur, ce qui exige de se repentir, c'est-à-dire de renoncer à soi-même, renoncer à son propre règne pour recevoir le ciel afin que le Ciel nous reçoive. Il faut exister dans l'instant qui renvoie à l'éternité, dans l'instant d'un renoncement, dans l'instant d'un chagrin, d'une larme ou d'un désespoir, c'est alors que le Consolateur viendra. Que le croyant ne s'embarrasse donc pas d'une chose qui se compte, qu'il ne prête pas attention aux quantités ni au temps qui passe, qu'il se contente donc d'une humilité qui prêche la repentance des enfants de Dieu. Qu'on se le dise le Seigneur viendra comme un voleur !

 L'attente de cette parousie donna du temps à la théologie, la science s'imposa et se développa si bien que les candidats se pressaient et se rependaient sur toute la surface de la terre, et aujourd'hui on ne peut plus dissocier christianisme et théologie ! C'est pourtant ce à quoi je m'exerce et ce que je recommande de faire à quiconque croit ou peut croire. Dieu tardant on a pris le temps d'un catéchisme, puis d'une école, d'une poésie, et finalement le christianisme est devenu une tragédie qui se joue et qui se chante. De la véritable Eglise nous ne connaissons aujourd'hui que les ruines. De suite après les premiers Pères la théologie s'installa, en fait de suite après la mort des disciples du Seigneur et de leurs premiers témoins, voilà pourquoi en matière de foi la leçon est aujourd'hui de rigueur, et c'est le théologien qui nous montre cette voie, mais par là même il nous montre aussi que l'humilité peut attendre. L'Eglise est en ruine, à cause d'une leçon Dieu a perdu son éternité, il est devenu le dieu de l'histoire. Car le théologien vole Dieu, il lui prend sa renommée, il veut l'histoire et du même coup la fin de la prophétie, il s'érige en interprète donne son oracle mais reste et demeure un menteur. Il ne connaît pas la porte du renoncement qui est aussi la porte qui nous ouvre le ciel de la présence du Dieu vivant, en quelque sorte il force cette porte et son passage au moyen d'une pensée qui ne se renonce jamais, et c'est ce genre d'orgueil qui ruina l'Eglise jusqu'à en faire un repaire de brigands. Mais c'est aussi dans l'église que le Consolateur reconnaîtra son Eglise...

 Abraham

 La foi sans les œuvres ne vaut rien, or l'œuvre de la foi se trouve dans le renoncement, et c'est encore de cette manière qu'Abraham fut justifié. Abraham est un croyant qui connaît et qui pratique le renoncement : il offre son fils Isaac sur l'autel et le faisant il renonce à lui-même. Abraham lève la main sur son fils Isaac, il œuvre contre lui-même, et c'est pourquoi l'œuvre est une bonne œuvre. Dès cet instant précis où Abraham décide de donner la mort, il renonce à sa chair, il renonce à son sang, il renonce au peuple qui porterait son nom. Mais Dieu lui montrera un autre peuple, un peuple que ne regarde pas la chair mais qui se trouve dans sa grâce, et uniquement dans cette grâce. Abraham ne croit pas à la manière d'un démon, mais en renonçant à lui-même il croit contre sa raison, contre sa chair et son nom, il espère contre toute espérance. Jacques l'a magnifiquement illustré dans son épître : l'œuvre de la foi se trouve toujours dans un renoncement 43. Abraham ne veut plus être un roi : qu'importent le royaume et la race maintenant qu'il s'est saisi du couteau ! Abraham se passe du culte qui célèbrera sa mémoire, il ne veut plus être ce dieu, il lève le couteau, c'est fait il ne l'est plus ! Il est devenu un fils, un enfant du Dieu vivant ! Et cela s'est produit en vertu de l'obéissance que l'on doit au renoncement éternel, c'est une nouvelle naissance et c'est le premier mouvement qui compte, c'est à cet instant même qu'Abraham reçoit la grâce de Dieu. Son fils Isaac n'est que chair, et à quoi servirait un peuple terrestre ? Quel héritage laisserait-il pour le ciel ? Loin de Dieu, loin du renoncement, même si un jour ce peuple recouvrait la terre tout entière il finirait par n'intéresser que lui-même, le vieil adage se réaliserait enfin, et on ne trouverait que des hommes qui se connussent parfaitement sans se sentir pour autant concernés par une félicité éternelle.

 Noé n'était pas Juif, pas même Hénoc, Dieu créa Adam et les races vinrent ensuite, mais en Jésus-Christ il n'y a pas de place pour le règne d'une éthique ou d'une politique, en Jésus-Christ il n'y a plus de Juif et il n'y a plus de Grec. Abraham renonça à son fils, à ce qu'il avait de meilleur, ce fils c'est aussi sa chair, c'est encore sa pensée, toutes ses espérances il les place dans ce fils que Dieu lui donna, ce fils c'est aussi son péché, son bien et son mal. Mais Dieu réclame le sang d'Isaac, alors il nous faut comprendre que Dieu se place dès ce moment- là contre Abraham. Dieu l'accuse, mais il l'accuse pour sa liberté, et pour libérer un peuple, c'est que Dieu se renoncera en Jésus-Christ ! Dieu s'est incarné dans une chair afin de nous montrer son renoncement, afin que nous voyions son œuvre. Mais il faut comprendre aussi que notre Christ est Juif, c'est dans l'incarnation que nous voyons le renoncement de Dieu. Nier le Juif c'est nier la chair du Christ, c'est désincarner le Christ et du même coup anéantir le salut et le sens de la croix. Celui qui nie le Juif niera le chrétien, celui qui nie le Juif est un antichrist car Jésus-Christ est Juif pour l'éternité, mais l'homme qui se renoncera sera d'accord avec l'œuvre de Dieu.

 Qu'est-ce que la Réforme ?

 On nous enseigne que la Réforme réalise l'ultime retour aux Ecritures, et aux Ecritures seulement. Par cet artifice qu'habille la vraisemblance, mais qui se fonde sur un malentendu, le protestant cherche un auditoire à convaincre. C'est qu'il veut des disciples et un règne, il pique notre curiosité et argumente pour intéresser une pensée qui ne se renie jamais. La tromperie se cache derrière une leçon reçue, et pour démasquer cet artifice on répondra à la question après avoir apprécié ce qui fait la substance des textes protestants tels ceux de Luther et de Calvin.

 Et je devine que si la Réforme nous renvoie aux Ecritures, elle le fait sans nous renvoyer pour autant aux lettres de saint Jean ou de saint Paul, en fait elle nous montrerait plutôt les Ecritures selon saint Augustin, c'est que la théologie du Père a progressé chez les protestants et chez Luther premièrement. Si l'on retire ce qui est d'Augustin à l'Institution alors il ne reste plus grand chose à attribuer à Jean Calvin. Mais le consensus des élus nous rappelle sans cesse que ces hommes furent inspirés par la vérité, et que leurs interprétations ont fondé une théologie en accord avec l'esprit des premiers apôtres, etc. ; balivernes en réalité, ou alors Dieu n'est plus vivant ! L'apologie engendra Nicée, puis Nicée engendra Augustin, et enfin Augustin nous laissa le protestant. C'est comme si Dieu avait eu besoin des symboles et de la théologie pour se faire entendre après l'ère apostolique ! Et si Dieu était intervenu dans tout cela il serait facile de voir que ce fût pour limiter les dégâts ! A les entendre on dirait que le temps qui court après les apôtres jusqu'à nous forme une immense parenthèse, qui se compte en siècles à vrai dire, et dans laquelle on ne trouve que des interprétations, des précisions, de belles pensées et de beaux discours. Des siècles qui à vrai dire aussi se passent d'un Dieu vivant qui se révèle au présent dans " l'ici et le maintenant " ; pour ce genre de chrétien Dieu s'est prononcé une fois pour toute, la sainte Bible ayant rédigé son contrat et son assurance pour l'au-delà.

 Dieu étant rejeté dans l'histoire, et aujourd'hui dans un lointain passé, le chrétien serein peut s'arranger avec une pensée artiste et toujours au travail, une pensée qu'il ne veut pas humilier ni crucifier. Mais le chrétien est proprement celui qui a eu sa révélation, c'est celui qui a rencontré un Dieu vivant sur son chemin, sa révélation est vivante et à ce stade l'Ecriture n'est qu'accessoire. Tout comme l'apôtre Paul le chrétien a rencontré Jésus-Christ sur sa route, aussi tout chrétien est un apôtre, un fils de Dieu que Dieu envoie à son tour vers les hommes, un serviteur, c'est-à-dire un instrument ou un accessoire, tout comme l'Ecriture entre les mains de Dieu. L'accessoire c'est le témoignage pour notre mémoire, voilà pourquoi il nous faut comprendre que Dieu aime se répéter et se redire vivant parmi les hommes! Avant l'Ecriture l'Esprit de Dieu nous parlait déjà, et c'est encore lui qui nous parlera !

  Du Protreptique

 Dieu range le croyant parmi ses enfants, c'est donc en qualité de fils que celui-là sera glorifié. Mais la théologie veut rendre le croyant semblable à Dieu, et celle des premiers Pères péchait déjà à cet endroit. L'image de Dieu ne fait pas le dieu mais un fils de Dieu, c'est le péché de celui qui s'égare qui augmente l'homme d'un dieu. Adam fut nommé fils de Dieu et aucun croyant ne peut se placer au-dessus d'Adam, voilà pourquoi depuis Adam le pécheur est celui qui doit renoncer à son rang de dieu et cela afin de redevenir un enfant et un fils. Et si l'homme tel qu'il se présente n'est pas un dieu, alors je me pose cette question telle que je veux aussi la poser à celui qui lit ces lignes : Et donc il s'agirait de renoncer à quoi ? En quel lieu pourrais-je tromper Dieu si je me trouvais sans royaume, comme un prisonnier sans liberté, impuissant, sans aucune majesté, si je ne pensais aucun règne et ne rêvais pas de gloire ? Dans ce cas il n'y aurait que des élus et l'homme ne serait qu'un pion jeté dans un immense jeu de chair et de sang ! Mais revenons aux premiers Pères pour dénoncer ce qui se doit...

 La théologie artiste de Clément d'Alexandrie est certainement l'une de celles qui s'est le mieux répandue à travers les siècles, jusqu'à se faire sentir aujourd'hui encore. Or, pour Clément, l'homme est un non-dieu qui dans son christianisme doit devenir un dieu. Il doit progresser vers une perfection qui sous forme de connaissance lui donnera un rang de dieu. Pour ce Père, et on le sait depuis Justin martyr, Dieu est le Maître qui enseigne et ce faisant il est celui qui nous conduit et nous amène à sa hauteur. Chez le théologien l'homme qui aurait perdu sa divinité devrait chercher à la retrouver, alors on usera de doctrines comme celle très connue d'une semence religieuse commune à tous les hommes, théologie qui se recevra plus tard chez les protestants. Ainsi la théologie postule un dieu défiguré, un demi-dieu dont le devoir est de se retrouver et de se connaître, pour ce faire l'homme sera enseigné, catéchisé, etc., Clément et ses confrères passent de la théogonie à la théologie, en fait on est toujours à une distance infinie du vrai christianisme qui veut faire de nous des fils c'est-à-dire ses enfants.

 Toute cette théologie est loin de nous raconter le Christ humilié, elle fait plutôt le récit d'un drame où Dieu n'est qu'un acteur dans un costume de chair et de sang. Mais celui qui croit au Christ ne devient pas un dieu mais un fils, l'amour du Christ n'est pas là pour faire de nous des dieux, car Dieu lui-même a renoncé à sa place de Dieu pour devenir son propre Fils. Enfin la pensée du Protreptique de Clément se résume assez bien dans ce passage que j'ai traduit ainsi : " Le Logos est devenu l'homme de Dieu, afin que toi aussi tu apprennes d'un homme comment tu peux devenir dieu 44. " On croirait entendre raisonner toute l'éternité, une raison qui résonne, du début à la fin, d'hier à demain ! Bref, c'est un système, de la théologie voilà tout ! Mais Christ n'est pas un théologien, jamais il ne brigua les premières places, à son heure sur la croix il n'a jamais nourri l'espoir de retrouver ce à quoi il venait de renoncer. Il est le Fils de Dieu, et il regarda plus bas encore en se faisant lui-même le fils de l'homme, et c'est dans ces qualités de Fils et de premier-né qu'il sera glorifié sur la terre et dans le ciel.

  La vérité sans le cœur

 Celui qui croit sans renoncement, qui aime sans repentance, se moque de Dieu, et c'est parce qu'il prêche la vérité mais sans le renoncement qui va avec que le théologien vole Dieu. Sans renoncement aucun le théologien et son élève fondent la vérité sur leurs capacités, c'est-à-dire sur une éthique, ce qui s'entend d'une science, d'une connaissance qu'ils ont d'eux-mêmes. C'est pourquoi les théologies, et autres catéchismes, approchent la vérité par son apparence au lieu de sa puissance ; c'est que cette puissance regarde la vérité dans son fondement qui est aussi une Existence, mais les voleurs de lettres font l'économie d'une repentance tout en portant le beau nom de chrétien. Le riche veut la gloire du pauvre et l'église fait dans l'art, puis dans la morale, son cœur regarde au bien et au mal à la fois, par rapport à Dieu il n'est pas. L'église porte le masque de la vérité, les accessoires de la Passion, elle est chrétienne sur la scène du monde, c'est l'actrice d'une comédie voilà tout ! L'église en est là, ce qu'elle n'a pas elle le prend au Christ, mais sans s'y attacher pour autant : la vérité ! Elle ne mérite aucune majuscule !

 La théologie éternelle

 Suite aux philosophes qui nous enseignent l'homme-dieu et qui expliquent pourquoi les hommes sont pareils à des dieux, j'ai montré ce à quoi ces hommes doivent renoncer et celui en qui ils doivent croire. Jésus-Christ, le Fils de Dieu, qui est sa Parole faite chair, qui s'est renoncé en Dieu pour devenir un homme et mourir comme un fils d'homme, s'oppose à toute science qui du haut de son faîte prétend à l'éternité et à sa félicité, aussi la philosophie revient sur l'éthique sans atteindre le religieux, ce qui veut dire que le philosophe construit sur du sable.

 Dieu veut sauver les hommes sans le moyen de la philosophie et sans le secours de la théologie, il sauve un homme qui renonce à lui-même, mais Dieu le fait parce qu'il est d'accord avec son propre renoncement. Celui qui croit a du même coup renoncé, ce croyant sait que Dieu est présent ici et maintenant, il vit cette Présence et cette Présence vit dans son intériorité, en vertu de sa repentance il est devenu un fils, il est un enfant de Dieu, sa croyance met encore un terme à toute théologie.

 La théologie comme science de l'éternité s'élève au-dessus de l'espace et du temps, le théologien est un observateur qui prend la place de Dieu. C'est pour cela qu'il trouve Dieu ailleurs, dans le passé, dans le futur, mais jamais ici et maintenant. Cette pensée théologique qui elle est bien présente fait des prévisions, elle est probable, elle discute et conjecture une pensée éternelle. La théologie prend la voix des prophètes sans prophétiser pour autant, voilà pourquoi son règne ne sera pas éternel, en fait elle est absolument inutile et vaine car l'œuvre de Jésus-Christ ramène son discours au-dessous du religieux. C'est la croyance et le renoncement qui font le prophète, c'est la foi accompagnée de son œuvre qui font l'enfant de Dieu, c'est Jésus-Christ qui est le chemin, la vérité et la vie !

 Mais le souci m'a fait écrire..., et je n'ai pas écrit pour plaire, aussi reste-t-il aux hommes de juger eux-mêmes ce qui doit se faire pour le salut de chacun et pour le bien de tous. Quant à moi je m'expliquerai avec plus de longueur et d'ordre, mais une autre fois, sur le contenu de ces pages. Il me faudrait encore parler avec plus de précision de " l'être chrétien ", cependant, une seule chose est nécessaire.


ANNEXE


  Le Christianisme, religion du Dieu fait homme, est la religion qui exclut toutes les autres. Mais des hommes se sont occupés de rendre Jésus-Christ intéressant, car avant cette théologie les chrétiens étaient accusés de haine contre le genre humain45. Le genre humain, l'homme-éthique c'est-à-dire l'homme de la théologie, puisque les théologies sont là pour prolonger l'éthique.


 Du singe aux étoiles ce qui compte pour l'homme moderne c'est le devenir dieu. Même les modernes ont leurs mythes...


 Pour la création de l'homme il faut postuler le caractère, la psychologie. L'individu est au principe de l'humain. Il n'y a pas d'espèce avant l'individu, Adam fut le premier homme.


 L'église évangélique, un correctif de plus ! Tous sont théologiens, tous interprètent, tous des réformateurs ! Nos cultes commencent à sentir le papier journal...


 Luther est d'accord avec son destin lorsqu'il commande aux chrétiens de pécher, ou encore de rejeter l'épître de Jacques. La prédestination introduit une logique du salut, alors il devient difficile de comprendre l'utilité des bonnes œuvres. Voilà pourquoi au bout de sa logique le protestant prédestine les bonnes œuvres et le travail du salut.


 Adam se levait, se couchait, les jours passaient et l'arbre était toujours là. Aussi ces théologies de l'innocence, de la maturité et de la faute, ne valent rien. Elles ignorent la réalité quotidienne du premier homme. Tant qu'il ne se déterminait pas à l'arbre, au fruit éthique, l'homme se déterminait pour Dieu, il était fils et image de Dieu.


 L'éthique c'est la vaine liberté ; mais même chrétien il y a trop de vanité dans la vie d'un seul homme.


 C'est une chose que d'être coupable devant Dieu, mais c'en est une autre que de l'être devant l'église et l'assemblée des hommes.


 Des chrétiens vont à l'église. Et quoi ? Jésus-Christ n'est-il pas entré dans les synagogues ?


 On trouve un Dieu vivant, il n'y a pas de Dieu mécanique. Il faut bien le dire, pour la théologie Dieu est une machine éternelle, une nature sans caractère.


 L'athée aime les conventions et les contrats, il poursuit l'éthique, range tout sous l'éthique, même la vraie religion. Est athée celui qui ne se renonce jamais, mais le socratisme est un exercice plus facile que le christianisme. Jésus-christ parlait de quelque chose de très difficile, car on ne renonce jamais avec le sourire, mais il en est tout autrement de la science. L'athée me déçoit, dans ce sens que bien souvent il parle et écrit pour provoquer un consensus autour de sa pensée, ce faisant il prive les hommes d'une grande consolation. Tant qu'il prêche l'éthique ou l'homme-dieu il reste humain, mais dès qu'il sort de ses limites en proférant des paroles odieuses à l'encontre du Fils de Dieu, il se rend coupable d'un plus grand crime en crucifiant à nouveau la vérité. Puisqu'il n'a rien à faire de la religion, que celui qui ne croit pas se taise ! Jésus-Christ n'a jamais craché sur un homme, il demandait seulement son renoncement, mais à n'entendre que son nom beaucoup se mettent à grogner et à rugir comme des bêtes.


 Le pharisien interprète, le théologien interprète, ils sont sourds, ils n'entendent pas la voix de Dieu.


 Le pardon à soi-même est à ranger sous l'éthique, sous la connaissance de soi, sous le règne du dieu. Le pardon vrai exige un autre que soi.


 J'en suis convaincu, un livre peut prévenir et consoler, par ailleurs il ne sauvera personne, aucun livre ne le peut. Seule une Parole vivante sauve celui qui renonce, et pour celui qui renonce Dieu se manifestera !


 L'enfer regarde la détermination éternelle du désespoir. C'est un désespoir sans réponse, c'est l'écho d'un désespoir ; le désespoir d'un monde, d'un dieu ..., d'un monde perdu.


 La différence entre l'homme d'avant et celui d'aujourd'hui se trouve dans un électron, une énergie qui permet le progrès et le construit en permanence. Mais à présent on entend dire que ce monde n'est pas bon, que le monde s'étouffe et s'asphyxie , on a semé trop de désordre dans ce monde que nos pères ont construit ! En fait nous subissons la logique d'un monde sans Dieu, mais d'un monde qui progresse encore. L'époque du progrès c'est mon époque, aujourd'hui nous vivons tous sous la dictature du progrès, car c'est ce progrès qui nous oblige chacun. Mais il nous faut bien trouver les moyens de vivre dans des villes d'acier, de béton et de goudron ! Il nous faut bien vivre dans cette société où nous sommes nés, où tout est donné !


 L'athéisme ne sert que l'homme. Avec l'athée le diable ne gagne rien et ne perd rien. Or, c'est la tiédeur et non la froideur que Dieu accuse. D'ailleurs la cause de la parousie semblerait se trouver dans la tiédeur d'un monde devenu religieux. Cependant j'ose soutenir qu'un athée s'attiédit lorsqu'il écrit une critique de la religion, ou une sorte d'apologie de l'athéisme. Comme si l'athée se trouvait en danger ! En fait dès qu'il pense sous les catégories de la religion son discours n'est plus neutre, et d'une façon ou d'une autre il joue sous la théologie.


 Des hommes ont démembré le seul Dieu vivant grâce à l'outil théologique.


 Suite à une révélation tu ne demanderas pas conseil à un troupeau de prêtres et de pasteurs, ces hommes qui se sont élus eux-mêmes en se donnant des docteurs, des assemblées et des coutumes.


 Le renoncement et la pénitence achèvent la création de l'homme dans la sanctification.


 Avec les théologiens, les Pères et les philosophes, le christianisme est devenu l'éthique d'une civilisation, de notre civilisation. La théologie a donné naissance à des valeurs, elle a produit une éthique, une civilisation chrétienne, une tiédeur générale. Ce monde moderne ne vaut rien..., de même pour la spiritualité qu'il transporte partout avec lui. Mais je veux être chrétien en existence, en esprit et en vérité, je veux rencontrer Dieu ici et maintenant, sans forcer une présence, mais dans un renoncement.


NOTES


  1. Luc 9 : 23.
  2. Jean 4 : 23, 24.
  3. Jude 1 : 14 ; Hébreux 11 : 5 ; Genèse 5 : 24.
  4. Il s'agit de l'Institution chrétienne qui fut son œuvre principale.
  5. Platon, Phèdre, 230a.
  6. Ignace nous a laissé sept lettres dont une à Polycarpe. Il subit le martyre à Rome vers 110, sous l'empereur Trajan.
  7. Clément adressa une lettre à l'Eglise de Corinthe, il aurait connu les apôtres.
  8. Polycarpe, disciple de Jean, a connu le martyre vers 167, nous avons un récit de son supplice ainsi que sa lettre aux Philippiens.
  9. Voir, par exemple, Phèdre, 245c-246a, où Socrate prouvait l'immortalité de l'âme en associant le principe au mouvement.
  10. Francis Schaeffer (1912-1984), théologien de tendance " évangélique " qui plaça Søren Kierkegaard au centre de sa critique du monde moderne. Une critique vaine et mal cousue puisqu'elle ignora tout à fait les combats du philosophe danois et le but qu'il se proposait. A la manière de quelques philosophes athées il priva Kierkegaard d'un contexte pour échapper à une pensée religieuse selon l'existence dans le religieux.
  11. Albert Camus, Le suicide philosophique, dans Le mythe de Sisyphe : " Je veux seulement me tenir dans ce chemin moyen où l'intelligence peut rester claire. Si c'est là son orgueil, je ne vois pas de raison suffisante pour y renoncer. "
  12. Démission de la raison (Maison de la Bible, 1971) ; Dieu, illusion où réalité ? (Editions Kerygma, 1989) ; Dieu-ni silencieux ni lointain (Editions Telos, 1979).
  13. Genèse 3 : 22.
  14. Ou Montanus (IIe-IIIe s.), religieux phrygien qui prétendait avoir reçu le charisme de prophétie. Pour le dire ainsi sa doctrine fut à l'origine du premier mouvement charismatique.
  15. Clément d'Alexandrie (vers 150-avant 215), auteur bien connu pour son raisonnement philosophique et théologique à la fois. Il nous a surtout laissé huit Stromates, son Pédagogue en trois livres, et un Protreptique.
  16. Dans un volet d'Ushuaïa Nature.
  17. Je pense surtout à Kant et à sa Critique de la raison pure.
  18. Actes 17 : 22-31.
  19. Jean 1: 1.
  20. Exode 3 : 14.
  21. Pascal, Pensées, 233.
  22. John Wesley (1703-1791), réformateur anglais et fondateur du méthodisme.
  23. Pseudo-Denys, auteur du Ve siècle qui a écrit La Théologie mystique, une œuvre largement inspirée par le néoplatonisme de Plotin et de ses successeurs.
  24. Actes 17 : 23.
  25. Jonas 1 : 12.
  26. Matthieu 12 : 38-40.
  27. Martin Luther, Propos de table, Aubier, 1992, p.78.
  28. Dans ainsi parlait Zarathoustra.
  29. Tertullien, De la chair de Jésus-Christ, V : " Le Fils de Dieu a été crucifié! je n'en ai point honte, parce qu'il faut en avoir honte. Le Fils de Dieu est mort, c'est une chose que je trouve croyable, parce qu'elle résiste au sens humain. Le Fils de Dieu ayant été mis dans le tombeau est ressuscité ! je crois que cela est vrai, parce que c'est une chose qui paraît impossible. "
  30. Claude Brousson, né en 1647 à Nîmes, ce prédicateur fut roué vif sur l'Esplanade de Montpellier en 1698.
  31. Antoine Court (1695-1760), prédicateur et principal restaurateur de l'Eglise réformée après la guerre des Camisards.
  32. Rabaut Saint-Etienne (1743-1793), pasteur qui réclama la liberté religieuse lors des débats sur la Déclaration des droits de l'homme.
  33. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, I, 1.
  34. Philosophe et apologiste, il connut le martyre vers 165, sous Marc Aurèle.
  35. Bien évidemment je pense à Clément d'Alexandrie.
  36. Genèse 3 : 5.
  37. Genèse 3 : 7.
  38. Martin Luther, Du serf arbitre, Gallimard, 2001, p.230-232.
  39. Galates 3 : 28.
  40. C'est dans sa Préface au Nouveau Testament que Matin Luther parle de l'Epître de Jacques comme de " l'épître de paille ".
  41. Apocalypse 13 : 8.
  42. Jean 10 : 34.
  43. Jacques 2 : 20-24.
  44. Clément d'Alexandrie, Le Protreptique, I, 8, 4.
  45. Tacite, Annales, XV, 44.

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